Quand des cinéastes et des psychanalystes se rencontrent en 2025
Quand des cinéastes et des psychanalystes se rencontrent en 2025
Cette année 2025 l’Association de la Cause freudienne à
Angers a reçu Ariane Labed réalisatrice de September and July et Lawrence
Valin réalisateur de Little Jaffna.
Dominique Fraboulet (DF) : Comme aime à le
répéter Claude Eric Poiroux Premiers Plans c’est les premières fois, alors
c’est quoi pour vous la première fois ?
Ariane Labed (AL) : Alors moi j’ai du mal à me
dire que c’est mon premier film. En tant qu’actrice j’en ai fait plein. Je fais
du cinéma depuis l’âge de 26 ans. J’étais là pour mon premier film en tant
qu’actrice. Donc pour moi c’est une suite logique. J’ai pas le grand frisson de
la première fois. Je m’expose plus avec mon premier long métrage. J’ai déjà eu
cette expérience avec mon premier court. C’est toujours une première fois, on a
toujours aussi peur, on prend des risques, c’est toujours un éternel recommencement,
c’est comme ça que je le vis.
DF : La première fois, c’est la première
rencontre avec le cinéma. Étant enfant quel a été le premier souvenir de
cinéma ?
AL : Moi c’est l’Ours de Jean-Jacques
Annaud. J‘ai regardé cinq minutes et je suis sortie en larmes. J’avais cinq
ans. C’était une expérience hyper traumatique. Je ne faisais pas du tout la
différence entre fiction et réalité et la maman ours était vraiment morte et
c’était la fin du monde.
Lawrence Valin (LV) : Ce film je l’ai vu non pas
comme une première fois mais comme une dernière fois. Car quand on dit première
fois ça met la pression et je n’en avais pas envie. Donc je me suis dit que
c’était peut-être la dernière fois donc je me suis amusé sur ce film.
La première fois au cinéma, c’est avec ma mère pour voir Titanic.
Quand il y avait des scènes un peu osées à la télévision ma mère changeait de
chaine, là elle ne pouvait pas. J’avais la bouche ouverte et je me suis dit
c’est donc ça. Ouah ! C’est peut-être ça ma première fois.
DF : En français première fois équivoque avec
première rencontre amoureuse et suivant qu’elle est bonne ou mauvaise ça peut
être traumatisant et changer une vie.
DF : Vous avez été tous les deux acteurs et
réalisateurs et même Lawrence vous avez été plus loin puisque vous avez été et
réalisateur et acteur dans votre propre film.
Je voulais vous questionner sur le regard car Hitchcock dont
on a passé le film fenêtre sur cour disait que le cinéma est
l’art de manipuler le regard. Alors le regard est-il le même suivant qu’on est
acteur ou suivant qu’on est réalisateur. Qu’est-ce qu’il y a de différent dans
ces deux regards. Et je poserais aussi la question à Gérard en tant qu’il est
psychanalyste, qu’en est-il du regard pour le psychanalyste ?
LV : Pour moi, quand on est comédien et qu’on
joue, on a besoin de regarder le réalisateur pour savoir si c’est bien ou pas
si on est dans le droit chemin ? Puisque j’étais à la fois réalisateur et
acteur, c’était difficile. Alors j’ai pris un coach pour moi et dès que la
prise était finie, avant de regarder le chef op ou la script, je sautais sur le
coach pour savoir si j’étais bien, pour me donner des indications si je pouvais
aller plus loin. C’est comme ça que je déguisais mon regard d’acteur par rapport
au réalisateur, c’est un peu shizophrénique. Avant d’arriver sur le plateau je
me prépare en amont en tant que comédien dans le rôle, je ne viens pas en tant
que Lawrence Valin réalisateur mais en tant que Michael. Je reste pareil du
début à la fin, et en post production je parle de moi à la troisième personne.
Ce qui me permet de me dédoubler.
AL : C’est risqué de dire ça devant des
psychanalystes !
LV : J’avais un vrai désir de regarder et plus
d’être regardée, de construire mon propre regard pour l’offrir au spectateur.
Je suis très attachée au regard féminin tel qu’il a été théorisé par Iris Brey.
Faire des films c’est aiguiser ce regard-là, qui est féminin puisque je suis
femme, et que j’ai envie de le travailler.
Gérard Seyeux (GS) : Nous appartenons à une
école de psychanalyse, l’école de Lacan qui a conceptualisé les objets "a"
qui sont des objets pulsionnels qui poussent à quelque chose et qui sont cause
du désir.
Pour le psychanalyste, le regard est un des quatre objets
pulsionnels à côté de la voix, les fèces et la pulsion orale. Ces objets sont
cause du désir. C’est le désir qui est important.
Alors pour vous, qu’en a-t-il été de votre désir de cinéma
dans tout ça ? d’où ça sort ?
LV : Pour moi c’est un manque de représentation.
J’ai grandi en regardant les films du dimanche soir avec Alain Delon et Jean
Paul Belmondo et je voulais être comme eux. Mais avec ma couleur de peau est-ce
que j'allais pouvoir être acteur dans le cinéma français ? En fait c’est
compliqué. Quand je deviens comédien, tous les rôles qui s’offrent à moi sont
des rôles clichés quelques soient mes origines. Donc c’est ce désir-là de
représentation, de montrer des nouveaux visages dans le cinéma français, qui
m’a poussé à faire du cinéma. Si on n’a pas de modèles on se dit que ce n’est
pas grave, on va les créer nous-mêmes. Pour moi c’était ça ma démarche.
AL : Moi aussi c’est créer ce qui m’a manqué
comme modèle qui m’a poussé à faire le film que j’avais envie de voir. Même si
je suis actrice et réalisatrice blanche, c’était important pour moi que mes
actrices principales ne soient pas blanches. La représentation dominante dans
ce monde de dominants écrase et on a besoin d’autres représentations.
LV : C’est aussi un besoin de se sentir
légitime. Tant qu’on n’a pas de représentation on a la sensation d’être des
imposteurs et c’était ça pour moi le désir de cinéma, de se dire c’est possible
de créer sa place.
DF : Je me souviens, Lawrence, que vous m’aviez
dit lors des Ateliers : « le cinéma c’est un métier pour les riches
et les blancs donc ce n’est pas pour moi ».
LV : C’est pour une élite le cinéma et je ne me
sentais pas représenté dans cette élite. Les gens qui ont une couleur de peau
comme moi c’est toujours pour jouer des rôles de migrants, et j’en avais marre
d’être victime et sauvé. On a droit aussi d’avoir ses propres représentations,
de faire des films autrement et de montrer sa propre histoire.
En tant que comédien je devais toujours justifier pourquoi
je parlais bien français, Alors j’étais, soit adopté par une famille blanche,
soit il y avait des trucs improbables, et tellement j’étais matrixé là-dedans
qu’au moment où j’ai commencé à écrire le film, pour justifier que mon
personnage a grandi dans la culture française, je lui ai inventé des parents
adoptifs. Et je pars dans une résidence au Canada et une consultante québécoise
me demande « toi tu as été adopté »? je dis non. « Et tu étais
avec qui »? je dis avec ma grand-mère. « Et elle parlait
français » ? je dis non. « Mais toi tu parles correctement
français, Alors pourquoi c’est pas ta grand-mère dans le film ». Je me
suis dit OK, mon personnage sera comme j’ai grandi, il n’y a pas besoin de se
justifier quand je parle français ou tamoul. Quand je parle en français ou que
je switche en tamoul, je voulais que ce soit normal, c’est pas le sujet du
film.
GS : Ce matin, en entendant Mathieu Amalric dire
« un film c’est quelque chose qu’on ne sait pas faire » j’ai pensé à
la formule de Freud « il y a deux métiers impossibles : analyser et
enseigner ». Est ce qu’on ne peut pas en ajouter un troisième - réaliser
des films, réaliser comme un impossible ?
AL : C’est la même chose pour toutes les formes
d’art. Il n’y a pas de marche à suivre, sinon on se dit qu’il y a des recettes
et on s’empêche. Donc il faut accepter de se perdre, pas savoir, se tromper,
écouter les autres, pas être d’accord avec les autres, suivre son instinct. Il
y a toute une part dans le processus créatif qui nous dépasse on ne peut pas
parler de total savoir-faire. Il y a une partie technique très lourde mais il y
aussi une écriture. À la réalisation il y a toute une partie qui nous échappe
et à laquelle il faut faire confiance. Personne ne sait faire des films, tout
le monde essaie de faire des films.
LV : Je suis d’accord avec Ariane. Moi en tant
que réalisateur je suis arrivé par défaut, C’était mon besoin d’acteur, ma soif
de jouer qui m’a poussé à réaliser. Donc ce n’est pas quelque chose qui m’était
prédestiné. Ce métier de réalisateur je le mettais sur un piédestal. Quand on
parle de Truffaut, Hitchcock, je n’ai pas leur intelligence, leur savoir-faire.
Comment vais-je faire pour raconter des films avec ma cinéphilie de films du
dimanche et les films indiens que j’ai vus gamin ? À un moment donné quand
on a cette nécessité, ce besoin vital qui est à l’intérieur, ce besoin de
raconter ces histoires là, et que ça existe de recréer ces récits, je ne me
pose plus toutes ces questions. Je me dis « j’y vais, je vais peut-être me
planter mais je vais me planter avec panache ». C’est comme ça que
j’avance.
GS : Vous êtes bien poussé par quelque chose. Ça
évoque ce que je disais tout à l’heure sur l’objet cause du désir, quelque
chose qui pousse à l’insu de votre plein gré, quelque chose qui nous échappe
que nous, nous nommons l’inconscient, ce savoir qu’on ne sait pas qu’on sait
mais qui est là dans ce qui échappe, dans ce qui pousse.
DF : Si on continue sur le thème de
l’inconscient, je me suis demandé où était l’inconscient dans vos films, cette
part de soi-même qui est là qu’on ne connaît pas et qu’on projette dans sa
création. Je voulais savoir si, à travers votre métier de réalisateur, vous
aviez été surpris de vous-même, de quelque chose que vous ne connaissiez pas de
vous, qui arrivait là, à ce moment-là ?
GS : Un écrivain a dit « J’écris pour
savoir ce qu’il y a dans mes livres ». Alors vous est-ce que vous faites
des films pour savoir ce qu’il y a dans vos films ?
LV : Pour moi c’est comme une forme de thérapie.
Entre mon court et mon long il y a toujours une figure paternelle et ça je ne
m’en rendais pas compte et qui est inaccessible dans la vraie vie car je n’ai
pas connu mon père. C’était comme une thérapie : je pouvais faire exister
cette figure paternelle et la faire évoluer comme je voulais, et donc, c’était
quelque chose qui n’était pas conscient. Dès l’écriture, c’était cette
figure-là que j’allais chercher et ce besoin de famille. Dans mes films, souvent
le personnage a un désir fort de créer une famille et c’est peut-être cela qui
est de l’ordre de l’inconscient chez moi, ce désir de faire famille .
Quand je le fais dans mes films, je prends énormément de plaisir à raconter ces
liens humains qui se créent à travers ces bandes. J’ai grandi avec ma mère et
ma grand-mère, et le père est comme un fantôme et cette figure, qui est dans le
film, est aussi comme un fantôme. Je me suis construit contre ça et dans le
film aussi, le personnage se construit contre cette figure- là. Dans ce premier
film j’avais envie de rester très proche de ce que j’avais envie de partager
avec le public et surtout de mon histoire personnelle. On m’avait dit quand tu
fais un premier film reste près de toi. J’ai essayé de donner le plus proche de
moi, même si je rentre dans une fiction pure et dure mais il y a beaucoup de
faits qui sont inspirés du réel.
DF : On peut dire que chez vous la fonction
paternelle a bien fonctionné.
LV : Il faudra demander à ma fille, celle que
l’on voit dans le film. J’ai utilisé mes deux enfants. Je me suis dit que ce
serait plus facile. Mais ce n’est pas une bonne idée. J’étais acteur,
scénariste, réalisateur et là en plus j’étais papa et là c’était trop, trop
dur.
DF : Alors que vous Ariane vous faites dire à
September « ce père fouteur de merde ». Qu’est-ce qu’il en a été de
cette fonction paternelle pour vous ?
AL : Je suis tiraillée. Quand je parle du père
dans mon film c’est la figure du patriarcat, c’est une figure contre laquelle
je suis très en colère. J’ai grandi dans une famille très traditionnelle, du
moins au début, un papa, une maman, deux sœurs. Je parle de la toxicité qu’il
peut y avoir dans ces liens. Je ne suis pas dans l’appel de liens dans la
famille mais plutôt de l’éclatement de ces liens. La part d’inconscient qu’on
découvre après coup est très drôle. J’ai découvert après avoir fait mon court
et mon premier long que je refabriquais la maison de mes grands- parents et je
me disais pourquoi je fais ça. Et il y a des choses que je découvre à travers
le regard des spectateurs : ah oui il y a des choses qui racontent ça de
moi, je n’avais pas pensé à ça, ces choses de mon inconscient qui me
traversent. Mais moi j’aime bien ne pas avoir de réponses à tous mes choix, par
exemple si la chef déco me propose six tapisseries, et que j’en choisis une.
Mais six mois plus tard je me rends compte que ça a rapport avec la cuisine de
ma grand-mère et je ne le savais pas. C’est joyeux de laisser libre cours à ça
et de le découvrir plus tard. C’est pas très contrôlé tout ça, encore une fois.
GS : Votre film est composé ainsi, tout n’est
pas dit et c’est semé de petits indices qui ne prennent sens que dans l’après
coup. Il y a un terme en allemand Nachtraglich. Tout se construit comme ça. On
a l’impression que ce sont des éléments disparates et quand on fait un retour,
alors à ce moment-là, on comprend ce qui s’est passé. Votre film est construit
comme cela.
AL : Très juste. Ma façon de penser, mon rapport
au monde est très lié à la structure de mon film. Je ne sais pas expliquer
comment, mais oui, cette boucle de scène, cette révélation tardive. Ce que
j’aimerais voir en tant que spectatrice mais que je ne peux pas trop expliquer
encore pourquoi.
GS : La rétroaction, ça nous tient à cœur, à
nous, psychanalystes. Quand on parle, on aligne des mots et tant qu’on n’a pas
le dernier mot on ne connaît pas le vrai sens de la phrase. Par exemple la
table : tant qu’on n’a pas dit -table de salon- ou - table de
multiplication- ou -table de logarithme- on ne sait pas de quoi on parle. Il y
a toujours un effet d’après coup et je trouve que votre film est vraiment
construit comme ça. Et je vais oser : vous vous appelez Ariane et vous
êtes née en Grèce alors…
AL : J’ai tué le minotaure !
J’ai un amour du détail. Et comme Chantal Ackerman, l’idée
que des petits gestes du quotidien puissent faire fiction me fascine. Je peux
être fascinée par une tarte dans un micro-onde qui tourne, ça peut donner des
idées aux filles, je trouve intéressant de regarder une jeune femme et sa mère
nettoyer les toilettes en musique, voir une serviette hygiénique dépasser d’une
culotte, voir ce qui se cache dans les fictions au cinéma habituellement, ce
sont des détails. On révèle tardivement mais les indices ont été mis tout au
long du film.
GS : Dans le film de Lawrence aussi. On croit
comprendre qu’il est policier mais on n’en est pas sûr, il y a des indices et
c’est évoqué, il y a une ambiguïté du personnage qui est révélé à la fin.
LV : Je donne des petits morceaux et c’est comme
des petits tableaux qui se suivent et on essaie de déchiffrer qui est ce
personnage-là. C’est des bouts de peau avec cette double incarnation avec son
vitiligo et je donne des petites informations sans donner trop. C’est important
pour moi. Quand il mange avec sa fourchette alors que les autres mangent avec
les doigts, ce sont des moments précieux car ce sont des petits gestes où on
voit que le personnage bascule dans sa famille d’origine. Quand on rassemble ces
petits détails-là, on voit qu’il a basculé depuis un moment. Manger avec ses
mains dans la culture tamoule c’est respecter la nourriture et ici « mange
avec ta fourchette on n’est pas chez les sauvages ». Un double regard que
j’essaie de mettre dans le film, infiltrer tout le long du film des indices qui
ne sont pas l’histoire principale mais qui donnent son identité.
DF : Au premier regard, surtout quand on voit
les bandes annonces, on a l’impression que vous êtes complètement opposés l’un
et l’autre. Il y a un film très masculin, celui de Lawrence, et vous Ariane,
plutôt du côté féminin. Mais dans la relation entre les deux sœurs il y a une
extrême violence dans cette emprise de l’une sur l’autre et vous, Lawrence,
votre personnage est très ambivalent, signifié par le vitiligo mais aussi par
toutes ses failles qui sont en lui. Et donc la première idée se retourne. Qu’en
pensez-vous ?
AL : J’ai envie de répondre avec beaucoup de
joie. C’est la preuve que la psychanalyse devrait intégrer qu’il n’y a pas de binarité
et que les choses sont beaucoup plus fluides que le masculin et le féminin. On
est enfermé, dans nos sociétés, dans des schémas très néfastes qui ont à voir
avec le féminin -la douceur- et le masculin -la violence. La violence
appartient aussi au féminin et la douceur au masculin. Ce sont des choses que
j’ai très envie de dynamiter. Je trouve que la psychanalyse est encore très
ancrée dans ce qui est le féminin et le masculin, binaire et archaïque.
GS : On peut faire un petit excursus. Ce sont
deux catégories qui ne sont pas référées à la biologie et qui sont plutôt
référées à un mode de jouir qui n’est pas le même chez les hommes et chez les
femmes, à la façon dont on éprouve le corps, comment on se sent dans le corps.
Les hommes sont empêchés et les femmes ont un plus de jouissance. Il y a
quelque chose de plus étendu chez les femmes que chez les hommes, d’expérience
dans le corps effectivement physique mais aussi expérience de jouissance de la
parole ou du regard et cela va au-delà des catégories biologiques homme-femme,
ce n’est pas référé à cela. Et c’est singulier à chacun.
DF : C’est une façon d’être au monde qui n’est
pas portée par le réel des chromosomes ni par l’image qu’on donne. C’est autre
chose, une autre façon d’être au monde. Donc on parle du féminin et du masculin
mais le féminin peut être porté par un corps d’homme comme Saint Jean de la
Croix qui était un mystique et que Lacan place du côté féminin. Alors que des
femmes peuvent supporter une présence au monde qui est très masculine, assez
limitée. La présence féminine va au-delà de tout ça. Lacan disait la femme est
folle, pas toute folle, elle n’est pas folle du tout. On peut penser la
fluidité et ce n’est pas fixé une fois pour toujours.
GS : Les femmes sont comptées plutôt du côté du
plus. Pas les femmes, le mode féminin est du côté du plus par rapport au mode
masculin.
AL : Il y a toute
une partie que je ne comprends pas et qui me parait bizarre.
Et vous Lawrence je ne sais pas comment vous
vous débrouillez avec ça ?
LV : Le sens, c’est : plus on va parler d’un certain groupe de personnes qui n’a pas de place médiatique, plus on crée une place. C’est ce sens-là que j’essaie de donner à travers mon film, donner une place à ces gens pour s’exprimer. La question du masculin et du féminin sont des questionnements loin dans ma pensée. Je ne pense pas que tel personnage est masculin, tel autre féminin. Dans ma communauté, les femmes qui ont fui la guerre et qui arrivent en France sont des femmes extrêmement puissantes et solides. C’est ce que je voulais montrer dans mon film aussi, tout en voulant montrer aussi le coté très patriarcal de cette culture-là. Je ne voulais pas transposer dans une société ici. Je ne voulais pas apporter mon point de vue occidental mais la montrer telle qu’elle est, comment elle était construite. Je ne voulais pas créer des rôles pour être à la mode, ce qui aurait donné un coté opportuniste. Je voulais rester au plus près de cette communauté-là car bien que le plus grand nombre des spectateurs n’appartienne pas à cette communauté, je ne voulais pas que les spectateurs tamouls se sentent trahis en regardant ce film.
Moi, je n’ai pas été assez regardé en tant que
comédien pour avoir cette logique de pensée. J’ai juste ce besoin assez
viscéral de pouvoir jouer et pouvoir m’exprimer en tant que comédien et c’est
ce qui me pousse à écrire en tant que scénariste et à réaliser. Réalisateur,
c’est venu par défaut. Ce n’était pas inné chez moi. En même temps, je prends
énormément de plaisir à faire des films parce que, quelque part, c’est comme ça
que je vois le monde. Et surtout, ce qui est assez chouette, c’est que maintenant
je ne suis plus du tout frustré en tant que comédien à me dire personne ne me
donne ma chance. Je sais que quelqu’un croit en moi et que dans deux, trois ans
je rejouerai dans son film.
Du côté de son peuple il les a
trahis et du côté de la France est-ce qu’il a été au bout de sa mission ?
Pour moi c’est ça aussi la vie. C’est, qu’à un moment donné, ce n’est pas noir
ou blanc, c’est les deux mélangés.
LV :
Non, ce n’est pas le cas. Ma référence dans ces guerres de bandes dans le film
est en West Side Story : je voulais avoir des personnages de ma couleur de
peau, qu’on soit dans West Side Story et qu’on prenne du plaisir à ce
moment-là.
Au début de l’écriture je me disais que mon
film c’était un peu Rox et Rouky. D’un côté le chien de chasse qui a été dressé
et de l’autre ce renard qui est assez libre. Il s‘apprécient en tant qu’amis
mais ça ne peut pas marcher, ils ne peuvent pas coexister parce qu’il y a un
moment donné où ils sont différents et ils sont tiraillés. C’est aussi mon
inspiration Rox et Rouky.
LV : Oui.
MCC : Y a-t-il un casting pour les coachs ?
C’est comme Rimbaud, « Je est un autre
mais » C’est quand même vous d’une certaine façon qui portez un regard sur
vous, un jeu de regards croisés.
Souvent les gens me demandent si je suis comme
ça dans la vraie vie ? Je réponds que non, pas du tout, que c’est un rôle.
En amont, on le travaille, on essaie de le rendre le plus vivant possible et
après il ne nous appartient plus.
GS : Nous, les psychanalystes, sommes très attachés à la langue. J’ai été frappé dans votre film par la façon de s’exprimer de vos comédiens. Dans notre jargon on appelle ça l’énonciation. Finalement quand on ferme les yeux on a l’impression qu’il y a des beurs. Pourquoi avez-vous fait ce choix-là ou bien est-ce une réalité, le parler des banlieues, dans cette communauté qui a sa singularité ?
LV : Dans les films de gangster les personnages sont noirs, très sombres et je voulais mettre de la couleur là-dedans parce que ce sont des gens vivants. Je ne voulais pas rendre glamour la violence mais au-delà de ça, dans le cinéma du sud de l’Inde, il y a énormément de couleur. Ça m’a influencé aussi. Dans le sud de l’Inde, les spectateurs ne vont pas au cinéma pour y voir la vraie vie mais pour s’évader car le quotidien est très difficile. Ils ont besoin de l’imaginaire, de fantastique. Ainsi les bagarres ne sont pas crédibles mais plus du folklore. Je voulais ramener ce côté du cinéma dans lequel j’ai baigné et le croiser avec un cinéma plus occidental. Ma question étant comment réussir à allier les couleurs d’un cinéma du sud de l’Inde et ce côté un peu réaliste et documentaire. C’est avec ce travail de mélange que j’ai fait dans le film.
Notamment je disais à ma chef costumière que
je voulais qu’on voit son travail à l’écran comme s’il s’agissait d’un film
d’époque alors qu’on était dans un film moderne. C’est pourquoi on remarque les
costumes. J’ai fait cette demande à tous mes départements, à l’image, à la chef
déco. Je leur disais « je veux voir votre travail ». Cela donne
peut-être ce côté exubérant dans tous les sens et il y a ce côté, « Wouah,
il nous en met plein la vue ». Je pense que ça fait partie de ma mise en
scène, ce côté un peu plus spectaculaire qui m’attire vraiment. Donc je vais
dans ces codes-là.
Compte rendu fait par Colette
Baillou et Dominique Fraboulet