Il n'y a pas de rapport sexuel


                                                                                                            



« Il n’y a pas de rapport sexuel »

 

Trois films incontournables qui seront projetés au festival Premiers Plans 2025 dans la thématique « Voisins-Voisines » viennent illustrer cette phrase énigmatique de Jacques Lacan « il n’y a pas de rapport sexuel ». Entre deux êtres parlants il n’y a pas de programme préétabli. Deux ne font jamais un. Un trou les sépare et la jouissance fait toujours effraction. Alors comment fait-on ?

Dans Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock, Jeff interprété par James Stewart est contraint de rester chez lui, un membre dans le plâtre, impuissant dans son fauteuil roulant. L’excitation qu’il ressent à épier ses voisins avec son appareil photo et son téléobjectif, impressionnant substitut phallique, suffit pour le moment à combler sa soif d’aventures. La pulsion scopique se satisfait. Dans l’encadrement des fenêtres il projette tous ses fantasmes sexuels, même les plus louches. Autant de petits écrans sur le grand écran du cinéma, autant de scènes du rapport qu’il n’y a pas qui lui permettent de repousser ce qu’il ne veut pas : épouser Lisa, sublime Grâce Kelly.

Mais c’est sans compter sur la subtile stratégie féminine pour emprisonner dans sa toile l’homme qu’elle aime.  Sous le regard de Jeff effrayé, elle s’introduit dans l’appartement du tueur, de l’autre côté de la cour et endosse l’habit de la femme assassinée, objet du fantasme inconscient de Jeff « une femme est tuée ». Pari réussi : dans le cadre de l’objectif, elle montre l’alliance de la femme disparue qu’elle a mise à son doigt, signifiant là qu’elle a ce qu’elle veut.

Dans une magnifique « direction de spectateurs » Hitchcock se délecte quant à lui à manipuler notre regard et nos émotions.


 

                                                                                          Une journée particulière

Dans Une Journée particulière, Ettore Scola nous emporte dans une rencontre improbable entre un homme et une femme que tout sépare. C’est la magie du cinéma. L’envol d’un oiseau qui se libère de sa cage vient réunir Antonietta (fascinante Sophia Loren) femme soumise et réduite par le fascisme à son rôle de mère pondeuse et Gabriele (étonnant Marcello Mastroani) sensible et respectueux, à l’opposé du « mari, père et soldat ». Le réalisateur nous convie à une formidable scène de pliage de drap : rapprochement de deux solitudes désespérées et exil du rapport sexuel. Entre l’homme et la femme, il y a un mur. L’objet du désir de Gabriele n’est pas une femme… Ce qui n’empêche pas l’amour…  « C’est très beau mais cela ne change rien ». L’oiseau retrouve sa cage, une faille s’est creusée dans les convictions d’Antonietta. Un homme l’a réveillée mais elle reste seule avec elle-même.



                                                                                                     In the mood for love

Dans In the Mood for Love, Wong Kar-Wai nous convie à une éternelle histoire d’amour. « Leur rencontre était embarrassante, elle était timide, tête baissée, lui donnant une chance de s’approcher mais il avait trop peur pour le faire, elle s’était détournée et elle était partie ». La peur d’affronter le désir est universelle. Alors Mr Chow (Tony Leung) et Mme Chan (Maggie Cheung) s’empêchent. Le film est l’histoire de cet empêchement : éternelle répétition de ce geste d’amour qui ne peut se faire, éternelle répétition de ces mots d’amour qui ne peuvent se dire, éternelle répétition de la musique sublime de Shigeru Umebayashi, éternelle répétition du temps qui s’étire comme les volutes de fumée de la cigarette de Mr Chow ou la voluptueuse descente de l’escalier de Mme Chan. Il faut du temps pour se faire à l’impossible à l’insaisissable, à la musique de la vie. « Quizas Quizas Quizas » évoque les amours regrettés qui seront enfouis dans les failles des ruines d’Angkor.

 

Que veut une femme ? Que peut un homme ? Enigmatique question qui n’en finit pas de traverser le cinéma pour le plus grand plaisir du spectateur toujours inassouvi. « Il n’y a pas de rapport sexuel. » A chacun d’inventer. Ou de poser son regard sur l’écran de Premiers Plans, sur Voisins-Voisines, confirmant la phrase d’Hitchcock « nous sommes devenus une race de voyeurs ».

 

Dominique Fraboulet