Partir au bout du monde pour se trouver soi-même

 

photo Premiers Plans



Boris Lojkine 

réalisateur
 
Partir au bout du monde pour se trouver soi-même
 
Ce qui fait destin n’est-il pas déjà là dès l’enfance ? Le plaisir intense, la fête de la sortie au cinéma avec ses parents pour découvrir Robin des bois de Dysney et défier l’affreux souverain qui maltraite ses sujets. Puis adolescent Boris Lojkine s’identifie à Humphrey Bogart dans Key Largo et part combattre les gangsters. Enfin survient ce souvenir inoubliable : à 10 ans, partir explorer des terres lointaines et inconnues et vivre l’aventure et l’amitié avec Dersou Ouzala film de Kurosawa.
Il y a aussi ce rêve d’enfant de devenir archéologue : partir, plonger dans un autre temps, dans un autre monde, dans un ailleurs.
 
Partir, pour Boris Lojkine, c’est « échapper à la vie grise » tranquille ni drôle ni festive, austère même, « protestante », toujours au travail dans les livres comme ses parents universitaires, commencer à cotiser dès 20 ans pour ses points retraites et vivre dans une vie linéaire sans grands reliefs, sans grands malheurs.
 
« Le Vietnam a changé ma vie ».
Boris Lojkine part au Vietnam en poste d’enseignant et rencontre « les âmes errantes » qui le bouleversent et transforment à jamais sa vie. Il se cogne, lui le cartésien, à l’incompréhensible, l’irrationnel des fantômes qui viennent hanter les vivants, et à son émotion devant l’incommensurable souffrance de Mme Tiêp. Après trois années de thèse de philosophie qui le poussent à se questionner sur la crise de la raison, il rompt avec son avenir promis de grand intellectuel et repart au Vietnam.
 
Et c’est parti pour le grand voyage de la vie.
Partir pour Boris Lojkine est un acte, un acte de liberté. Le voyage est fondateur. « Je ne peux pas vivre dans les livres, une vie sans aventures, sans rien à conquérir. »
Partir à l’aventure, à la rencontre de l’Autre, cet étranger à soi-même, si loin et pourtant si proche « chercher les grands reliefs de l’existence, les grandes tragédies ». « Je suis fasciné par les grandes tragédies humaines » dit Boris Lojkine, peut-être depuis qu’il a lu les récits du goulag, lui fils de communiste. Il lui faut se coltiner au Réel, le sien et celui des autres, le sien à partir de celui des autres. « C’est ça la vie que je veux. »


film Hope


 
Et son destin passe par le cinéma, la réalisation de documentaires puis de fictions. « Le voyage fait partie de mon désir de cinéma. »
Il ne s’agit pas pour Boris Lojkine de délivrer un message rationnel ou moralisateur par l’intermédiaire de ses films, mais de « raconter les gens ». Et de préférence la face cachée. Boris Lojkine se met au service d’une communauté, des migrants, des livreurs, des jeunes photographes dans les zones de conflit. En les filmant, il vit lui-même l’aventure qu’ils vivent. Et la grande aventure de notre époque, la grande tragédie de notre monde contemporain n’est-elle pas celles des migrants ? Avec Hope son premier long métrage, Boris Lojkine rencontre tout ce monde des bas-fonds de l’humanité, les conditions terribles de leur existence. Il se confond avec eux. « J’ai adoré découvrir ce monde-là. » Avec l’œil de sa caméra il décale le point de vue du spectateur, il se fait le témoin de cette nouvelle épopée, de ces jeunes africains qui veulent partir et conquérir leur destin.





 
Dans son deuxième long métrage Camille le réalisateur raconte le destin funeste de cette jeune photoreporter de guerre Camille Lepage. Comme elle, il éprouve le plaisir immense, l’émotion intense d’être à sa place avec ces jeunes africains pris dans une guerre qui les dépasse. Une voix off conclut le film « Pourquoi est-ce que j’ai besoin d’aller au bout du monde pour me trouver moi-même ? » Cette voix est celle de Boris prêtée à Camille… Mais, à qui s’adresse-t-elle ?





 
Dans son dernier film l’histoire de Souleymane Boris Lojkine mets ses pieds sur les pédales de Souleymane, le livreur, et nous emporte dans une course folle dans Paris. Pas besoin de partir loin pour trouver l’étranger. Il est là tout près de nous, et pourtant sa géographie n’est pas la nôtre. Nous, spectateurs, sommes aussi oppressés et désespérés que lui et tendus vers la fin de l’histoire… qui se termine par un formidable moment de vérité.
 
Comme Socrate, cet accoucheur d’âmes, Boris Lojkine nous réveille. La vérité n’est jamais là où on l’attend. Puissions-nous ne jamais nous rendormir.
 
Dominique Fraboulet