Je suis ce que je dis

 


Mr. Klein 

de Joseph Losey

 

Avec ce film Mr. Klein, Joseph Losey explore la France antisémite du régime de Vichy, cette période trouble de notre histoire où des Français ont trahi d’autres Français. Le réalisateur ne montre pas des nazis mais des hommes, comme vous et moi. Certains vivent joyeusement sous l’occupation allemande tandis que d’autres ont peur, se terrent, vendent leur biens pour fuir. Les deux faces d’une France divisée et honteuse.

Robert Klein incarne à lui seul cette division. Joseph Losey le présente comme un riche collectionneur d’art qui spolie avec un dédain monstrueux un juif venu lui vendre un tableau rare d’époque hollandaise. Alain Delon qui joue Monsieur Klein trouve là un grand rôle à sa hauteur, magnifiquement beau, hautain, séducteur, sûr de lui et de son identité au-dessus de tout soupçon. Or le voici confronté à un autre Monsieur Klein abonné à un journal juif qui lui est adressé à lui Robert par erreur. Robert serait-il juif, serait-il celui qui se montre pour mieux se cacher ? Comme le dit son ami Pierre, collabo. Non, certainement pas, il refuse cette hypothèse et va même signaler ce cas à la préfecture de police. Il consulte son père pour s’assurer de son identité « catholique et bon français ». Cependant une autre faille apparait : il y aurait une branche familiale hollandaise qui… Est-il si sûr, alors, de ne pas être juif, celui qui est rejeté, ridiculisé, méprisé au cabaret antisémite, celui qui est « réduit à des mesures de narines » comme le montre avec horreur la première scène du film ? Dès lors, fasciné par ce double inconnu, révélé par de multiples scènes dans le miroir, Robert Klein part à la recherche de cet autre lui-même «  il faut que je sache ce que ce monsieur veut de moi »… Et se met en danger.

Tout le film baigne dans une atmosphère trouble. Toutes les pistes sont brouillées et confinent à l’absurde. Mr Klein, même dépouillé de tous ses biens n’en veut rien savoir de ce désordre dans l’identité. Il est ce qu’il dit «  un bon français ». Quelques scènes sont irrationnelles (celle où il fait jouer l’internationale à sa maitresse) d’autres (comme celle du château) à la limite du fantastique. Elles font perdre au spectateur ses propres repères. Lui-même est interpellé, pris dans les méandres de cette quête identitaire, et ne sait plus où est le regard. Nous sommes tous divisés dans cette histoire.

Un tournant dans le film ? Au restaurant de la coupole où se presse une foule mondaine insouciante, Mr Klein répond à l’appel du serveur qui cherche Mr Klein, l’autre Mr Klein. Et le premier découvre,  par un jeu de miroir, que l’autre Mr Klein n’est autre que lui-même : moment de perplexité, d’inquiétante étrangeté où je est un autre, ignoré à lui-même, à la fois bourreau et victime, juif et non juif, pris au piège du miroir. « Je suis fou » dit-il. Moment de vacillement aussi pour le spectateur : et si Mr Klein bis était une invention de Mr Klein ?

Pris dans la captation imaginaire dont aucun Autre ne pourra le sortir, Robert poursuivra cet autre Mr Klein  jusqu’à en assumer la destinée mortelle.

Formidable fin où dans le train qui l’emporte, la lumière va de Mr Klein au vendeur du tableau hollandais et retour, pris tous les deux dans la même tourmente pendant qu’une voix off dit «  faites-moi une offre raisonnable ». Au bout du chemin, Il n’est pas sûr que Mr Klein, enfermé dans son narcissisme égoïste et mortifère, ait pris la mesure de « l’horreur que des français faisaient à des français, sur l’horreur de ce que des gens ordinaires faisaient à d’autres gens ordinaires » selon le dire de Joseph Losey.

 

Dominique Fraboulet




                                                                                                                bande annonce de Mr.Klein