Je est un autre

 

                                                 


PERSONA

Igmar Bergman 1966

 


En 1965, Igmar Bergman souffrant  doit abandonner un projet de film.
Durant l’hospitalisation  nécessaire il est saisi par deux photos de Bibi Anderson et Liv Ulmann, « stupéfait par l’étrange lumière sur nos visages » dira cette dernière. A sa sortie de ce séjour,  le réalisateur suédois écrit en deux semaines un scénario,  le tournage démarre peu après sur l’ile de Faro en mer baltique. 
C’est ainsi qu’est né ce film particulier dont Liv Ulmann considère « qu’il  fut un pas de géant, d’un genre nouveau, car personne n’avait fait de film qui ressemblait à cela »

Pourquoi ce titre Persona ? Osons une hypothèse. Persona, c’est le masque du théâtre grec et c’est également ce concept de la théorie analytique jungienne dont Igmar Bergman semble s’être inspiré. Jung pour qui la Persona est cette part de la personnalité qui organise les rapports aux autres et au monde, en façonnant un personnage où l’on peut se perdre, confondant son moi et ce qu’il donne à voir. Lacan  nous éclaire également sur persona dans le séminaire le transfert  « Persona une fonction si essentielle qui est tout le temps au premier plan de l’économie de la présence humaine, à savoir, s’il y a besoin de persona, c’est que derrière, peut-être, toute forme se dérobe et s’évanouit »  ( Lacan. J., Le séminaire, livre VIII, Le transfert p.280)

 

L’histoire : Elisabet Vogler, comédienne de renom, perd l’usage de la parole alors qu’elle interprète précisément une héroïne du théâtre grec : Electre. Un impossible s’impose à elle, un impossible à dire, elle se tait, faisant sienne cette suggestion de Wittgenstein : « ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire ». C’est alors qu’elle est prise en charge par une équipe de soins psychiatrique, dont une médecin psychiatre qui considère que ce silence est « une décision de sa part puisqu’elle est en bonne santé». Après un bref séjour à l’hôpital, la comédienne part en convalescence au bord de la mer avec une infirmière, Alma.


Et c’est dans ce huis clos intime que va s’établir un étrange dialogue/monologue entre les deux femmes, Alma/Elisabet. 
Et donc, qui parle, qui est parlé ?  Se glisse en filigrane, comme le furet, cette question fondamentale : quel est mon désir ?

Car ce que le film met subtilement en scène c’est qu’Alma est cette autre Elisabet, son  porte parole, cette Elisabet sujet divisé, rongée par le remords, qui s’adresse à elle-même par la voix de l’infirmière : elle se parle, elle est parlée par l’Autre, Alma est son porte-voix. Elisabet qui se tait écoute Alma qui la parle : la comédienne  fait silence, celle-là même qui s’était posée cette question : « peut-on n’être qu’une seule et même personne à la fois….je veux dire : étais-je deux personnes ? » Elisabet qui pense «  que nous sommes gouvernés par des forces qu’on ne maitrise qu’en partie » exprimant à sa manière l’idée rimbaldienne du « Je est un autre».

Un inter-dit, un impossible à dire va alors se dire, porté par la parole d’Alma , cette autre Elisabet, déchirée entre Elisabet comme mère, pas « assez bonne » et la comédienne qui n’a pas renoncé à sa carrière, déchirée, comme la photo de son fils,  entre la mère et la femme.

Dans ce dialogue avec elle-même, Elisabet s’entend  dire cet indicible qui s’énonce par la bouche d’Alma : « tu as tout ce que tu peux désirer, il te manque la maternité, tu as laissé ton mari te faire un enfant… tu as pris peur, peur de la responsabilité, peur d’être enchaînée, de devoir quitter le théâtre, peur de la douleur, peur de la mort, de ton corps qui enflait….mais tu jouais ton rôle, ton rôle de future mère jeune et heureuse.
Plusieurs fois tu as essayé de te débarrasser du fœtus, mais tu as  échoué …tu t’es mises à haïr le bébé à espérer qu’il soit mort-né  tu voulais que ton bébé meure… tu culpabilisais… tu es  retournée au théâtre »

Il règne au sein de ce film une inquiétante étrangeté, das Unheimliche comme le définit Freud : un effroi qui se rattache aux choses connues depuis longtemps, qui nous sont le plus familières et à la fois les plus étrangères, ce que Freud nommera clivage du moi, inquiétante étrangeté du désir

Une autre question se fait  jour : peut-être qu’on peut s’améliorer en osant être soi-même. ? Mais qui suis-je : cette comédienne qui ne cède pas sur son désir, cette mère qui a souhaité la mort de son enfant, taraudée néanmoins par ce désir de maternité.

Enfin le film se termine sur une série d’interrogations sur le qui suis-je : « quel est le plus proche, comment ça s’appelle nous ! on ! moi !  je !

Et sur une injonction d’Alma : « essaie de m’écouter maintenant, répète après moi : rien, rien, non rien ».  Elisabet consent alors à prononcer son seul mot du film RIEN. Sur quoi Alma conclue « c’est bien, c’est ainsi que cela doit être ». C'est-à-dire qu’Elisabet, après n’avoir rien dit, Rien, dit du rien.

De quoi ce Rien est-il le nom ?


Gérard Seyeux, psychanalyste



                                                                                                  bande annonce Persona