Zéro envie d'être mère
Ninjababy
Ninjababy est le deuxième long métrage de
Yngild Sve Flikke, réalisatrice norvégienne. Ce film a reçu le prix du public
du Festival Premiers Plans en 2022.
Avec ce film la cinéaste voulait aborder les problèmes de la
maternité et remettre en question les limites du genre.
Rakel est une jeune femme de 23 ans, libre, insouciante,
débordante d’énergie. Elle aime boire et « se taper des garçons d’un soir ».
Elle a des mots crus et parle du caca sans emphase. Elle gribouille des
figurines sur des papiers qui encombrent sa chambre et ne sait comment orienter
sa vie. Alors, quand elle apprend qu’elle est enceinte de 6 mois, c’est une
bombe qui lui tombe dessus. Ce qu’elle veut : devenir cosmonaute, garde
forestier, dessinatrice de BD ; ce qu’elle ne veut pas : être mère.
Elle ne comprends pas : elle a un ventre
plat, elle n’a pas eu de nausées, elle n’a jamais senti le bébé gigoter. De
plus elle ne sait pas qui est le père. « On avait une capote et je prends
la pilule ». A six mois, Il est trop tard pour avorter. C’est incompréhensible
mais une chose est sûre : elle a dans son ventre un bébé qui va naitre
dont elle ne veut pas « ce putain de saleté de Ninjababy pourri ». Son
monde bascule ainsi que son rapport aux autres.
Traiter un tel sujet d’une femme qui refuse la maternité et
qui l’assume pouvait desservir le film, car comme le dit Yngild Sve Flikke
« c’est surprenant comment les grossesses de cinéma les moins désirées
arrivent toujours à une sorte de révélation, à la découverte d’une forme
d’amour qui triomphe de tout ».
Pour contourner le cynisme de la situation, la réalisatrice se
sert de l’animation et de l’humour. « L’animation c’est magique. Tout peut
arriver » dit-elle.
En effet ce que Rakel ne peut penser, elle va l’imaginer. Et
le bébé prend vie sous la forme d’un dessin qui se superpose aux images réelles,
un drôle de petit bonhomme avec un bandeau sur le front et une voix off qui
vient interroger Rakel sur sa conduite, sa culpabilité, la paternité,
l’adoption, le racisme, le féminisme. Ce bébé Ninja, Ninjababy comme elle le
nomme, est révélateur de l‘inconscient de Rakel : en termes crus, de façon
comique et grave, sans ridiculiser ni moraliser des sujets tabous, il génère
l’humour et aussi des émotions profondes. On le voit balloter dans le ventre de
sa mère lors d’un rapport sexuel avec le supposé père. Il peut dire à sa mère « tu as laissé ce
gars-là te baiser »« mais réagis bon sang » ou bien
« pourquoi tu m’aimes pas » » « tu ne peux pas me donner à
ces gens-là ».
Yngild Sve Flikke nous montre qu’une femme n’a pas pour
vocation d’être mère. Une femme peut s’épanouir en dehors de la maternité.
C’est à chacune d’en décider. Et toutes ne vivent pas la maternité de la même
façon. Avec beaucoup d’humour la réalisatrice fait une satire de l’adoption. Elle
met en scène celles qui désirent un bébé et ne pouvant en avoir se tournent
vers l’adoption… mais pas n’importe quelle adoption et Rakel qui devient mère
par surprise et veut le donner… mais pas à n’importe qui. Et Ninjababy avec une
voix off de petit sujet…donne son avis. La mère est toujours divisée par son
enfant. « Je voulais montrer l’ambivalence d’une femme entre sa carrière
et la maternité » dit la cinéaste. Rakel assume son choix « J’ai zéro
envie d’être mère, cela n’a jamais été sur ma liste ». Mais le regard de
la société lui fait dire « ce que je suis, une sale égoiste de
merde » et la renvoie à sa culpabilité « je veux me débarrasser de
toi sans me sentir coupable ». Elle ne veut pas de l’enfant mais elle veut
le bien pour lui. Rakel est trahie par son corps mais elle ne se laisse pas abattre,
et cherche des solutions devant ce réel impensable pour elle « Ne te
laisse pas tomber au sol, prépare toi à te relever ».
Avec ce fim Yngild Sve Flikke bouscule aussi les rapports de
genre : la femme est grossière dans ses paroles, libre dans sa sexualité,
sans entraves « c’est pas une histoire d’amour, juste de sperme ».
Elle rejette la culpabilité sur l’homme « c’est toujours notre faute, ce
qu’on doit subir, l’accouchement, le déchirement… qu’il aille se faire
vasectomiser ». Rakel n’est pas très sympathique, elle peut paraitre
odieuse et bruyante. L’homme, au contraire se montre doux et attentionné
« il sent bon le beurre frais ». Même Jésus-Trique qui ne pense qu’à
l’alchimie sexuelle, est attendri par le nouveau-né et prend ses
responsabilités « je veux cet enfant, je suis le père, j’ai des droits.
C’est une expérience existentielle qui change la vie ».
Sous le ton de la comédie Yngild Sve Flikke bouleverse notre
mode de pensée et nous interroge. Et pourquoi pas ?
Dominique Fraboulet