Retour sur la 34è édition du festival
Retour sur la 34è édition du festival
Cette année lors de cette 34è édition du festival Premiers Plans, nous avons perdu nos illusions, celles qui nous font croire que la famille, l’amitié, l’amour, la tolérance et le partage enchantent le monde. Au contraire les jeunes réalisateurs des premiers longs métrages en compétition nous ont montré que ces illusions nous enchaînent. Avec eux nous avons vécu les drames de l’enchaînement.
L’enchaînement à notre milieu social et culturel que même l’amitié
entre deux adolescentes ne peut transcender dans Libertad film de Clara Roquet. Tout au plus l’initiation de Nora par
Libertad sonne-t-elle comme un adieu à l’enfance douillette et insouciante.
bande annonce Libertad
L’enchaînement à la pauvreté dans le film de Louda Ben Salah Le Monde
après nous. Cette « autofiction » décrit l’âpreté de la vie à
Paris, la violence de l’argent qui manque à celui qui veut devenir écrivain ou
réalisateur. Il se voit alors contraint de prendre des raccourcis douteux pour
ne pas sombrer dans la mélancolie ou
renoncer à son désir. « Qu’est-ce qui pousse à écrire quand on est
dans une telle galère. »
bande annonce Le monde après nous
L’enchaînement à sa propre jouissance, à ce que l’on est et
que l’on ne peut accepter. Ainsi comment vivre dans la Chine d’aujourd’hui
quand on est homosexuel et prostitué ? « Je cris, je pleure, je
cherche, je ne trouve pas. On est si perdu…» dit une voix off au début du film Money
Boys de C. B. Yi. Comment se
vit--on criminel ? Peut-on faire face à ses propres pulsions meurtrières ? Vincent
Le Port dans son film Bruno Reidal
se confronte à ces questions et à la douleur du sujet en prise avec son destin.
bande annonce Money Boys
L’enchaînement à l’amour paternel qui fait préférer les chaînes à la liberté. Dans Les Poings déssérés de kira kovalenko les mots sont rares mais les corps remplissent l’écran pour exprimer la violence des sentiments. La ville est enfermée dans les montagnes, les voitures tournent en rond dans un rodéo infernal. Il est impossible de s’extraire de son passé.
L’enchaînement à la violence dans ces trois derniers films, extrême
violence, est si réellement filmée qu’elle laisse le spectateur KO et sans
voix.
Alors comment se débrouille-t-on avec cet enchaînement à la
violence qui nous assaille, cette chose qui nous tombe dessus, se répète et à
laquelle nous ne comprenons rien ? Les jeunes réalisateurs nous en
montrent la voie en joignant l’image à l’écriture.
C’est dans Flee
que Jonas Poha Rasmussen répond à ce questionnement. Il utilise le film
d’animation alternant les images colorées et les images en noir et blanc
floutées quand le drame se fait plus vif. « Il est plus facile de suivre
une histoire dramatique sans voir de vrais visages en train de souffrir »
dit-il. Il y introduit des images cinématographiques d’archives pour montrer
l’horreur du réel dont il s’agit de se
décaler.
Aleksandre Koberidze, lui, dans Sous le ciel de Koutaissi nous emporte dans un conte fantastique où deux amoureux sont condamnés à se rencontrer sans jamais se reconnaitre. « Ils se voyaient tous les jours mais ils passaient leur temps à attendre de se retrouver ». Le réalisateur filme avec poésie et magie l’incohérence d’une rencontre impossible et du grand amour qui n’existe que dans le cinéma.
Quant à Vincent Le Port dans Bruno Reidal, il réussit à humaniser celui qui avait été diagnostiqué sadique sanguinaire dans le rapport du professeur Lacassagne. Il filme à une juste distance, il accompagne Bruno Reidal sans le juger, sans expliquer ce destin criminel qui reste hors sens. Avec une mise en scène épurée, nous sommes touchés par ce personnage qui se confronte douloureusement à sa jouissance. Mais l'empathie a des limites dit le réalisateur. La froideur de la voix off, le peu de dialogues et l’horreur de la scène finale sont là pour nous le rappeler.
bande annonce Bruno Reidal
Cette violence, nous la retrouvons aussi dans Broadway où Christos Massalas filme l’art
de la diversion. Broadway, est ce lieu improbable qui « accueille tous
ceux qui sont dans la merde » les petits malfrats qui font les poches des
hommes fascinés par les femmes, et les truands sans scrupule. Le réalisateur
utilise la musique et la danse, le loufoque, le coloré, le décalé et le
mélodrame pour signifier le ratage de l’amour
qui ne se réalise pas « les coups foireux » que Nelly répète
inconsciemment « les plans tordus ca m’attire ». A Broadway, c’est
toujours de la perte dont il est question.
En cette année 2022 où la menace du Covid semble s’éloigner, certains jeunes, réalisatrices et réalisateurs ont traité les drames vécus sur le ton de la comédie. Les spectateurs sont passés de l’horreur à la stupeur, des larmes au rire. Et nous avons pu entendre le rire dans le grand auditorium du Centre des Congrès avec le film d’Yngvild Sve Flikke Ninjababy « ce putain de saleté de Ninjababy pourri » cet enfant qui pousse dans le ventre de Rakel, cet enfant qu’elle ne veut pas. Et de même nous avons souri avec Le Monde après nous « Même si nous vivons des moments difficiles, il y a aussi beaucoup de joie » dit Louda Ben Salah. « Si on n'arrive pas à en rire, cela devient totalement catastrophique. »
bande annonce Ninjababy
En rire, une nouvelle façon d’aborder l’impensable.
Dominique Fraboulet