On ne nait pas criminel on le devient

 

                                                   affiche du fim Bruno Reidal, confession d'un meurtrier



On ne nait pas criminel on le devient.


Bruno Reidal, confession d'un meurtrier est le premier long métrage de Vincent Le Port sélectionné pour la compétition des premiers longs métrages européens au Festival Premiers Plans 2022 et à la semaine de la critique de Cannes en 2021.

Ce film est tiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée en 1905 dans le Cantal. Un séminariste de 17 ans tue un enfant et se rend de lui-même à la police sans émettre de remord vis-à-vis de ce meurtre odieux. Devant ce crime inexplicable, le professeur Lacassagne, médecin légiste à Lyon, qui reçoit Bruno Reidal,  lui propose d’écrire ses mémoires. A la lecture de celles-ci le réalisateur Vincent Le Port nous dit avoir été fasciné et troublé par ce jeune séminariste. Qui est-il ? Comment nait un criminel ? Peut-on lutter contre son destin ?

Vincent Le Port suit le futur criminel pas à pas depuis l’enfance jusqu’à l’accomplissement du meurtre. Trois acteurs interprètent Bruno Reidal dans les trois grandes étapes de sa vie qui sont présentées comme trois ponctuations signifiantes.

 

Le réalisateur aurait pu s’apitoyer sur l’enfance de Bruno Reidal dans une famille rurale frustre  entre une mère rude, peu aimante, voire violente, et un père alcoolique disparu trop tôt. Mais le cinéaste préfère s’attarder sur les premières rencontres de Bruno avec la mort :

La mort de l’enfant de sa sœur, évoquée par l’image du petit cercueil.

Puis Bruno entrevoit sa propre mort alors qu’il garde les vaches et qu’il est pris d’une insolation. Nous retrouverons ce soleil qui brille entre les arbres à différents moments du film et notamment lors de la scène du crime.

Enfin c’est la mise à mort du cochon : le regard de la bête qu’on égorge, son cri effrayant font fuir l’enfant mais viennent fixer sa jouissance. Ce qui lui fera dire plus tard « ça se tue un homme comme un cochon ».

D’autre part, le cinéaste pointe, avec beaucoup de finesse les moments où surviennent les premières pensées de meurtre qui rongent le futur criminel : dans une salle de classe, Bruno Reidal est capté, comme dans un miroir, par son alter ego, premier de classe alors que lui-même n’est que second, ou par celui qui récite à la perfection une poésie. « Je me représentais faire souffrir les enfants de mon âge, j’aurais du plaisir à les supplicier. » La caméra saisit le regard, la voix et la nuque de celui que Bruno voudra «  posséder ».

 

Plus tard, un deuxième acteur incarne Bruno Reidal adolescent, à l’âge des premiers émois sexuels. C’est le moment traumatique d’une rencontre  avec un berger qui le masturbe et lui procure une jouissance inédite que Bruno essaiera en vain de reproduire. Vincent Le Port rend compte très justement de ce tournant dans la vie du criminel où la jouissance se noue avec « la mauvaise pensée ». « Un jour me masturbant et n’arrivant pas à jouir, l’idée de meurtre est venue par hasard » et a déclenché le plaisir attendu.  

 

C’est donc le hasard qui vient sceller le destin de Bruno Reidal incarné par un troisième acteur, formidable Dimitri Doré qui a reçu, pour ce rôle,  le prix d’interprétation masculine. Bruno est hanté par « ses actes d’impuretés » et la pensée de tuer un de ses camarades ; pas n’importe lequel, mais celui qui a les qualités que lui-même ne « possèdent » pas. Il lutte mais en vain. Il essaie d’en parler et va rencontrer un prêtre pour confesser ses péchés.  Il envisage l’idée du suicide qu’il récuse aussitôt car « c’est un péché de refuser le don de vie que Dieu nous a accordé ». Enfin il décide de rentrer au séminaire « où je serais plus en sureté contre moi ». L’étude dans laquelle il excelle met une limite temporairement à ses masturbations compulsives « je me croyais heureux ».

Malheureusement le temps des vacances  ramène Bruno Reidal à la ferme, à une vie sans but, fade, vide «  j’aurais préféré ne plus vivre ». Et revient alors, avec plus de force que jamais, cette emprise pulsionnelle insaisissable et douloureuse. Surgit alors une certitude délirante : l’idée qu’en commettant le crime, il mettra un terme à cette vie insupportable. Enfin il pourra « posséder » Blondel, son camarade si beau, si fier qu’il considère comme un demi-dieu. «  Blondel trouve la vie si belle, je la trouve affreuse » dit le futur criminel « enfin je serais libre, ce sera une deuxième vie ».

 

Vincent Le Port filme les faits, les rencontres. Il ne donne aucune interprétation, aucun sens. Tout au plus certaines images se répètent : l’éclat du soleil, la porte par laquelle l’enfant en proie avec sa jouissance s’est enfui, les cris de la mère, le couteau.  Le réalisateur « épouse l’horreur pour la réfléchir sans forcément la comprendre ». Il humanise Bruno Reidal qui avait été diagnostiqué sadique sanguinaire par le professeur Lacassagne. La caméra suit le meurtrier à une juste distance, l’accompagne. La musique du « quatuor pour la fin du temps » traverse le film. Avec une mise en scène épurée, nous sommes touchés par ce personnage à la stature petite et frêle, la tête toujours penchée de côté, le regard fuyant, par ce garçon qui se confronte à ses pulsions, et se  montre dans l’après coup très lucide sur son crime, ne cherchant jamais à en être absous. Mais « l‘empathie a des limites » nous dit Vincent Le Port. La froideur de la voix off qui exprime ce que Bruno ne peut dire, le peu de dialogues et l’horreur de la scène finale sont là pour nous le rappeler.

Dans ce film Vincent Le Port nous montre  « cette part d’insondable et de mystérieux qui se cache au plus profond de Bruno » comme au cœur de chaque être humain. Devant le regard du spectateur se déroule la logique du crime.

Peut-on échapper à son destin ? Le criminel lui-même semble nous donner la réponse : « Quand j’y repense, la scène de meurtre est pleine de charme ».

  

Dominique Fraboulet

 


                                                                    bande annonce du film Bruno Reidal, confession d'un meurtrier