Ibrahim

 





Ibrahim

de Samir Guesmi


IBRAHIM est le premier long métrage de Samir Guesmi qui a reçu le prix du jury du festival Premiers Plans d’Angers en 2021. Il a aussi reçu quatre prix au festival du film francophone d’Angoulême et a été sélectionné au festival de Cannes 2020.

Ce film met en scène un père et son fils. Il traite de l’incommunicabilité et de l’incompréhension. « Comment deux personnes si proches peuvent-elles être si étrangères et passer l’une à côté de l’autre ? » dit Samir Guesmi. Ce père-là est mutique et ne dispose pas des mots « ces mots qui peuvent aussi mentir et duper son monde ». Le dialogue passe alors par le regard, les gestes, le corps qui bouge à son insu et ne trompe pas. Samir Guesmi sait filmer l’absence de mots pour dire les émotions, la honte, la peur, la colère, la détresse. Il montre de façon métaphorique  l’ombre et la lumière, le scintillement des couleurs dans la nuit. Il nous fait entendre les silences des hommes et les bruits de la ville. « Si je pouvais parler, je n’aurais pas fait ce film » dit le réalisateur.

Ce film nous montre la dérive d’un adolescent. Ibrahim, l’enfant sage, timide, engoncé dans ses vêtements, caché sous sa chapka,  cuisine pour son père, suit l’école et rêve. Il rêve d’incarner le héros qui donne le but de la victoire à son équipe de football dont le nom est acclamé dans le stade. Son copain Achille, lui, ne se contente pas de rêver un monde meilleur. Il sèche les cours, vole à la dérobée, fait le beau avec sa trottinette et son blouson Armani. C’est son nom à lui qui est scandé dans le stade par les filles qui l’admirent. Il n’a pas peur. C’est un homme. Alors quand Achille, ce double fascinant, propose à Ibrahim de se faire de la «  tune » c’est d’abord un refus «  tu me soûles quand tu fais ça ». A quoi rétorque Achille « t’as peur mon frère » façon de lui dire « tu n’es pas un homme ». Ibrahim va céder, mais Ibrahim a peur, panique et se fait prendre après avoir cassé un téléviseur que son père doit alors payer. Et voilà Ibrahim pris dans l’engrenage de trouver de l’argent pour rembourser la dette à son père. Ibrahim est bien mal parti dans cette quête de l’argent facile où il suffit de tendre la main pour attraper un billet de 50 euros.

Qu’est ce qui pourrait arrêter Ibrahim sur le chemin de la délinquance ? Et c’est tout l’intérêt du film de nous proposer des pistes.

Est-ce le père qui se tient droit malgré la rudesse de la vie et tente de lui transmettre les codes de l’honneur ? Mais ni la colère, ni la gifle du père ne font dévier Ibrahim. Ni la honte qu’il éprouve devant ce père qui pour payer la dette ne pourra s’offrir la prothèse dentaire qui lui permettrait de « servir en salle ». Alors Ibrahim continue de rêver. Il rêve son père en tenue dans la  brasserie de l’opéra dans laquelle il travaille comme écailler.

Est-ce la parole d’Achille qui lui dit « Ce n’est pas pour toi » ou celle du videur de la boite de nuit « fais attention » ?

Est-ce le regard d’un militaire croisé dans la rue, ou celui d’un clodo drogué dans le métro ?

Est-ce la mauvaise rencontre avec un homme pédophile, ami d’Achille, qui provoque un sursaut ? un insoutenable dégout ? et la fuite devant ce réel impensable ? La fuite est cette fois-ci salutaire pour Ibrahim «  celui qui sprinte plus vite que son ombre ».

Est-ce son désir naissant à l’endroit d’une jeune fille, Louisa, là où il pourrait se révéler être un homme ? Celle qui lui dit « qu’est-ce que tu veux ?  t’attends que je te dise quoi ? » Elle lui révèle ce qu’il est, un rêveur. Elle, elle sait dire non, non au restaurateur qui veut les mettre dehors «  nous ne sommes pas des chiens pour manger dehors ». Elle lui fait prendre de la hauteur au sommet de la tour de la Bastille qu’il hésite à gravir. Elle lui montre la petitesse de la cité de son enfance et l’étendue des possibles devant la beauté de Paris.

Ce désir pour cette jeune fille en réveille un autre, refoulé dans l’inconscient du fils et du père. Une parole enfin surgit «  dis, papa, elle était comment maman » ? Cette femme, cette mère est la grande absente du film, mais en même temps présente par un détail, un tee-shirt  avec un cœur « je t’ai déjà dit de ne pas porter ce tee-shirt » dit le père dès l’entrée du film. Cette grande douleur d’un amour perdu peut enfin se dire. A la question « pourquoi elle faisait ça » ? répond la caresse du père sur la joue du fils et cette parole « on ne sait pas pourquoi on fait ça, c’est comme ça ». Tout ne s’explique pas. Reste en suspens la question de la jouissance de cette mère dans son addiction mortelle  et celle du père qui lui aussi s’est drogué. Et maintenant quelle dette doit-il payer ? écailler sur le trottoir ou à la plonge au sous-sol du restaurant ? sans dents ? le dos courbé devant son fils qui rêve de le voir servir dans la prestigieuse brasserie ? «  Excuse-moi » dit le père. «  Et alors….. » dit Louisa.

Il aura fallu tout ce temps, tous ces détours jusqu’au bord de l’abîme pour qu’Ibrahim se réveille. Il rencontre à nouveau un homme qui lui fait signe mais cette fois, c’est une bonne rencontre.

Le film se termine sur une vue du Sacré Cœur, qui rappelle le cœur du tee-shirt de la mère.  « J’avais cœur à faire cette chose » dit Samir Guesmi. Cette chose qui cause à jamais son désir de réalisateur.

D Fraboulet



                                                                                                            bande annonce du film Ibrahim



Abdel Bendaher et Samir Guesmi