Je raccorde
Dania Reymond-Boughenou
réalisatrice
Dania ne s’attendait pas à ça « ce mélange
d’insupportable et d’agréable » ce moment horrible où tout est perdu, où
elle fond en larmes, où le sentiment de la mort se mêle au goût délicieux du
chocolat offert par son père pour calmer ses pleurs. Bernard et Bianca de Disney est le premier souvenir de cinéma de
Dania. Elle avait quatre ans quand elle est rentrée pour la première fois dans
une salle de cinéma parce qu’il pleuvait ce jour-là.
Ce moment doux-amer est-il inaugural dans la destinée de
Dania ?
Ce choc des images se renouvelle quand elle découvre l’œuvre
de Magritte en fouillant dans la bibliothèque de son père. Elle tombe sur
« une image transgressive » d’une
tête avec un sexe de femme sur le visage, sur des images de pieds
coupés, d’ongles qui la dégoûtent. « Ces images qui heurtent mais qu’on ne
peut s’empêcher de regarder. » Il y a aussi toutes ces œuvres d’art
qu’elle découvre, enfant, dans les musées et par lesquelles elle se sent
« happée ».
Un autre moment clef
sur le chemin de la réalisation cinématographique : son « premier
raccord » en Chine où elle était partie avec Erasmus et l’idée de faire un
film pour clôturer ses études aux Beaux-Arts. Elle raccorde l’image d’un corps de
femme en mouvement avec l’image d’une Chine en construction, en « chantier ».
Ce moment très fort la saisit et lui rappelle Pasolini filmant la Rome des
années cinquante, l’Algérie et son père, architecte, qui l’emmenait sur les
zones de « chantier » à l’extérieur de la ville d’Alger où elle
est née et a grandi. « Je raccorde » dit-elle. Elle se forme ensuite au
montage.
En coupant, en acceptant de perdre elle apprend le
renoncement mais elle se laisse aussi surprendre par ce qu’elle n’attendait
pas. « Le cinéma, c’est se confronter à nos limites » dit-elle, aux
contradictions, à l’altérité, à la remise en question. En citant Godard « Il
faut faire le film possible maintenant » elle accepte maintenant de ne pas
attendre le bon moment, l’argent mais de laisser place à l’imprévu. C’est ce
qu’elle fait dans son moyen métrage Le Jardin
d’essai très écrit au départ et dont il reste surtout les paroles improvisées
par les acteurs. « Il n’y a pas
que des catastrophes qui arrivent, il y a aussi de bonnes choses. » « Le
cinéma, ça met dans l’urgence vitale. » Il faut savoir rebondir comme le
lui ont appris les évènements qui l’ont obligée, elle et sa famille à quitter précipitamment
l’Algérie en 1994.
Son désir de cinéma s’ancre dans l’amour qu’elle a reçu des
œuvres d’art « ce qui nous dépasse » qui serait de l’ordre « de
l’extase ». Le cinéma n’est pas seulement raconter une histoire. «
Il y a autre chose que je cherche, c’est pas facile à dire. » Avec le
cinéma elle « raccorde » le bleu d’Yves Klein avec le ciel et la mer
d’Alger, elle se reconnecte avec l’inconscient, les émotions refoulées de sa
vie en Algérie, les événements subis, les ruptures, les rendez-vous manqués. Le
cinéma, comme la psychanalyse, permet de questionner l’histoire familiale, de se
révolter, de prendre du recul et de s’apaiser.
« Une part de moi était endormie.» Le cinéma est venu la
réveiller. Elle découvre sa façon singulière
d’être algérienne, de ré entendre l’arabe et le son du vent dans le
jardin d’Essai à Alger. « Et le pays est tellement « en chantier »
« il a trop besoin de cet espace-là » de cet art qu’est le cinéma.
Après un moyen métrage présenté au festival Premiers Plans en
2017, Le Jardin d’essai, Dania est
venue aux Ateliers d’Angers pour terminer l’écriture de son premier long
métrage qui se situe à Alger Les Tempêtes
dans lequel Samir va devoir dénouer un passé qui le hante.
Ainsi, le cinéma est devenu pour Dania le cadre où se pose
pour elle, la question de son existence.
Dominique Fraboulet
photo Nathalie Guihard