Je raccorde

 

                                                                                                                   
                                                                                                               photo Nathalie Guihard


Dania Reymond-Boughenou

réalisatrice

Dania ne s’attendait pas à ça « ce mélange d’insupportable et d’agréable » ce moment horrible où tout est perdu, où elle fond en larmes, où le sentiment de la mort se mêle au goût délicieux du chocolat offert par son père pour calmer ses pleurs. Bernard et Bianca de Disney est le premier souvenir de cinéma de Dania. Elle avait quatre ans quand elle est rentrée pour la première fois dans une salle de cinéma parce qu’il pleuvait ce jour-là.

Ce moment doux-amer est-il inaugural dans la destinée de Dania ?

Ce choc des images se renouvelle quand elle découvre l’œuvre de Magritte en fouillant dans la bibliothèque de son père. Elle tombe sur « une image transgressive » d’une  tête avec un sexe de femme sur le visage, sur des images de pieds coupés, d’ongles qui la dégoûtent. « Ces images qui heurtent mais qu’on ne peut s’empêcher de regarder. » Il y a aussi toutes ces œuvres d’art qu’elle découvre, enfant, dans les musées et par lesquelles elle se sent «  happée ».

 Un autre moment clef sur le chemin de la réalisation cinématographique : son « premier raccord » en Chine où elle était partie avec Erasmus et l’idée de faire un film pour clôturer ses études aux Beaux-Arts. Elle raccorde l’image d’un corps de femme en mouvement avec l’image d’une Chine en construction, en « chantier ». Ce moment très fort la saisit et lui rappelle Pasolini filmant la Rome des années cinquante, l’Algérie et son père, architecte, qui l’emmenait sur les zones de « chantier » à l’extérieur de la ville d’Alger où elle est née et a grandi. « Je raccorde » dit-elle. Elle se forme ensuite au montage.

En coupant, en acceptant de perdre elle apprend le renoncement mais elle se laisse aussi surprendre par ce qu’elle n’attendait pas. « Le cinéma, c’est se confronter à nos limites » dit-elle, aux contradictions, à l’altérité, à la remise en question. En citant Godard « Il faut faire le film possible maintenant » elle accepte maintenant de ne pas attendre le bon moment, l’argent mais de laisser place à l’imprévu. C’est ce qu’elle fait dans son moyen métrage Le Jardin d’essai très écrit au départ et dont il reste surtout les paroles improvisées par les acteurs.   « Il n’y a pas que des catastrophes qui arrivent, il y a aussi de bonnes choses. » « Le cinéma, ça met dans l’urgence vitale. » Il faut savoir rebondir comme le lui ont appris les évènements qui l’ont obligée, elle et sa famille à quitter précipitamment l’Algérie en 1994.

Son désir de cinéma s’ancre dans l’amour qu’elle a reçu des œuvres d’art « ce qui nous dépasse » qui serait de l’ordre « de l’extase ». Le cinéma n’est pas seulement raconter une histoire. «  Il y a autre chose que je cherche, c’est pas facile à dire. » Avec le cinéma elle « raccorde » le bleu d’Yves Klein avec le ciel et la mer d’Alger, elle se reconnecte avec l’inconscient, les émotions refoulées de sa vie en Algérie, les événements subis, les ruptures, les rendez-vous manqués. Le cinéma, comme la psychanalyse, permet de questionner l’histoire familiale, de se révolter, de prendre du recul et de s’apaiser.

« Une part de moi était endormie.» Le cinéma est venu la réveiller. Elle découvre sa façon singulière  d’être algérienne, de ré entendre l’arabe et le son du vent dans le jardin d’Essai à Alger. « Et le pays est tellement « en chantier » « il a trop besoin de cet espace-là » de cet art qu’est le cinéma.

Après un moyen métrage présenté au festival Premiers Plans en 2017, Le Jardin d’essai, Dania est venue aux Ateliers d’Angers pour terminer l’écriture de son premier long métrage qui se situe à Alger Les Tempêtes dans lequel Samir va devoir dénouer un passé qui le hante.

Ainsi, le cinéma est devenu pour Dania le cadre où se pose pour elle, la question de son existence.

 

Dominique Fraboulet



les résidents aux Ateliers 2020
photo Nathalie Guihard


                                                                                                       photo Nathalie Guihard