Une autre forme de masculinité
photo François Chotard
Jean-Guillaume
Sonnier
réalisateur
C’est un acte manqué qui conduit Jean-Guillaume Sonnier au
cinéma : Il coche malencontreusement la case option audiovisuelle dans le lycée
qui a accepté de prendre ce mauvais élève. Comme c’était quelque chose de
nouveau, il se dit que là, il n’avait pas de lacunes. Il arrivait « en
terrain vierge » Alors pourquoi pas ? Il y rencontre un
enseignant bienveillant qui emmène ses élèves dans les festivals et leur
enseigne des choses peu scolaires. C’est là, dans ce lycée, que se produit une
rencontre magique qui l’accompagne
encore aujourd’hui : il découvre un
cinéma qu’il ne connaissait pas, auquel il n’avait pas eu accès : Elephant de Gus Van Sant et 2046 de Wong Kar-Wai. « C’est
hypnotisant, incroyable esthétiquement, ça existe. » Il est ému au plus
haut point « un film me questionne et je voudrais savoir pourquoi ».
Il ne savait pas que « ça » c’était du cinéma.
Jusque là Jean-Guillaume Sonnier ne vivait que pour
l’équitation, les galops dans les grandes plaines et sa fascination pour le
cheval. Il ne connaissait du cinéma en salle que La Vérité si je mens vu avec ses cousines, et Le Bossu de Notre Dame dont il ne se souvient que du premier plan :
les nuages qui tombent sur la cathédrale et l’enfant rejeté qui pleure. Enfant,
il s’identifiait aux personnages des films et vivait trop intensément toutes
les émotions projetées sur l’écran. Il n’aimait pas ça. Son plus grand plaisir
était d’écouter des cassettes audio, la radio. « J’adorais les conteurs,
j’aime qu’on me raconte des histoires. » Il n’a pas le souvenir des histoires
racontées mais des voix, des voix avec une petite particularité linguistique,
un accent, une tonalité, un cheveu sur la langue. Comme son oncle au phrasé si
particulier qui savait si bien captiver son public en racontant des histoires mimées,
drôles et rythmées. Peu importe qu’elles soient vraies ou fausses ces
histoires, ce qui importait, c’était « la capture par l’enveloppe
vocale ». »
Avec Elephant,
Jean-Guillaume Sonnier découvre qu’il y a aussi du mensonge dans le cinéma. Le
réalisateur manipule des images, des sons, des émotions. Il traite un réel dont
il peut alors se détacher. Dans le cinéma il y a des arrangements avec la
vérité. « C’est du cinéma. » «C’est fascinant d’arriver à « faire
croire » une réalité qui n’existe pas. C’est ce qui m’a toujours excité
dans le cinéma, c’est un truc de conteur et c’est ça que j’ai envie de
retrouver. » « Un mensonge vrai.»
Dans sa création cinématographique, Jean-Guillaume Sonnier va
jouer avec l’enveloppe sonore et la particularité de la voix. L’accent russe
dans A quoi tu joues, l’accent belge
dans Petit homme. Ce sera l’accent
espagnol dans son long métrage. Cet accent lui facilite la direction d’acteur
et permet d’emblée de situer le personnage et son origine, d’avoir ou non de
l’empathie pour lui.
Dans ses films, Jean-Guillaume associe sa fascination pour le
cheval « qui ne parle pas » et « ce truc » de conteur. La confrontation
avec l’animal lui permet d’explorer la
masculinité. « Il n’y a pas qu’une forme de masculinité » dit-il. L’animal
puissant et dangereux n’est pas pour lui la métaphore de la sexualité
masculine. Bien au contraire, il entre en contradiction avec le jockey petit, mince, peu conforme aux critères
virils habituels. Par un jeu de lumière douce, le cinéaste de Petit homme magnifie la peau laiteuse du jeune apprenti jockey. Le
son métallique, répétitif, rythmé du cheval mécanique très sexualisé, renforce
sa fragilité. Le contact charnel entre les jeunes élèves, tous des garçons,
soulève des questions sur une homosexualité latente. Le jockey doit se
construire une masculinité avec un corps qui va à l’encontre du viril et fait
corps avec un animal de 900 kilos.
Dans son long métrage Comme
des bêtes dont il est venu travailler le scénario aux Ateliers d’Angers,
Jean-Guillaume Sonnier met en scène un apprenti torrero qui se heurte au désir
de l’Autre. Le cinéaste est fasciné par le rituel de la tauromachie,
l’habillage et le corps de ces hommes dont le sexe et les fesses sont moulés
dans des habits de lumière. Ils sont comme « des ballerines sur du
sable » confrontés à des animaux furieux. C’est par cette contradiction
qu’ils « prouvent » leur virilité et non par l’épaisseur de leurs
muscles. C’est une forme de masculinité plus sensuelle, plus émouvante que
celle qui est habituellement montrée au cinéma. « Les hommes ne sont pas
que des brutes épaisses » dit-il. Le cinéaste veut mettre en lumière la beauté du
corps des hommes et le désir qu’il peut susciter. Une autre forme de
masculinité « contradictoire et fascinante. »
Photo des résidents des Ateliers d'Angers 2020
photo Nathalie Guihard
Dominique Fraboulet