Slalom
Slalom
Charlène
Favier, jeune réalisatrice du film Slalom[1],
se dit « autodidacte, hors du sérail des écoles de cinéma », animée
par l’art mais aussi par le sport qui lui a donné « un instinct de survie
pour ne pas partir complètement en live car il faut quand même un fil
conducteur pour rester d’aplomb »[2].
« Le Bac en poche je m’exile à Londres pour intégrer la prestigieuse école
Jacques Lecoq, où je solidifie mes bases de jeu et de mise en scène. Très
vite, je continue à voyager seule, en quête d’aventures, de rencontres et de
grands espaces pour trouver ma place dans ce monde. Mes carnets de voyage se
remplissent de croquis, de collages et de photographies. Mais l’envie de
raconter des histoires me colle à la peau et c’est entre l’Australie et en
Nouvelle Zélande que je réalise de manière complètement spontanée et
autodidacte mon premier documentaire, […] un hymne aux marginaux qui rêvent de
sauver le monde»[3].
En 2010, elle crée elle-même sa société de production. « N’étant pas
du milieu … le meilleur moyen c’est d’apprendre en faisant, donc j’ai créé
cette boite en me disant : je n’attends personne ». Après avoir écrit, réalisé et produit une dizaine de films, Charlène
Favier se concentre sur deux projets qui lui tiennent à cœur : Odol Gorri[4]
où une jeune femme s’échappe de son foyer disciplinaire et rencontre un homme,
pêcheur taiseux, de deux fois son ainé. Odol
Gorri a remporté de nombreux prix et la sélection au César des
court-métrages 2020. « C’était un test pour le long métrage (Slalom) avec cette fameuse scène de sexe
[…] ce côté un peu laboratoire où on voulait être en plan très rapproché auprès
du personnage principal pour essayer de vivre pratiquement les choses avec elle
à son rythme […] Elle est à l’intérieur d’elle, elle essaie de se dépatouiller
avec ses sentiments contradictoires, elle essaie de trouver une issue avec ce
qu’elle est en train de vivre et c’est ce qu’on a gardé dans Slalom ».
La cinéaste explique clairement pourquoi elle a réalisé Slalom : « Il y avait aussi le désir de dénoncer l’abus sexuel dans le sport, car quand on a été un peu dans le sport de haut niveau, on sait que ça existe […] et encore une fois il y avait ce petit truc qui m’a donné envie de faire du cinéma dès le départ : le cinéma pour moi, c’est une manière de dire des choses que les gens ne croient pas, n’entendent pas, ne comprennent pas […] là il y a des entraineurs qui abusent, des relations qui sont mal comprises, des choses malsaines qui se passent, il faut déverrouiller, ouvrir l’omerta ». Charlène Favier précise que Slalom est en partie autobiographique.
L’héroïne,
Lyz 15 ans, est passionnée de ski et, dans la souffrance d’une solitude
familiale, elle s’accroche aux défis lancés par son entraineur pour être en
haut des podiums. Á son amie inquiète, elle
réplique déterminée : « peut-être que tu as raison, qu’il ne s’intéresse à
moi que juste parce que je gagne les courses, mais c’est la première fois que
ça m’arrive à moi et ça veut dire qu’il croit en moi, et j’aime ça, et le reste
je m’en fous ».
Par les
images des sommets enneigés que Lyz cherche du regard et par la musique qui
accompagne les descentes en slalom, le film montre bien sa quête d’absolu qui
rejoint celle de l’entraineur : « C’est ce que j’aimais moi, frôler
la chute, toujours au bord, juste à la limite, le plaisir, la grâce absolue, tu
vois ce moment quand ton corps et la vitesse ne font qu’un. C’est ça qu’on
partage toi et moi… ».
Au cœur de
cette même passion imaginaire mettant en jeu les performances du corps, le
sexuel fait rupture. Il fait attentat pour la jeune fille et pour le
spectateur. En effet le sexuel ici ne s’inscrit pas dans la temporalité d’un
désir se faufilant dans des paroles d’amour. Pour l’entraineur, le sexuel fait
irruption dans le corps à corps quasi-quotidien avec cette jeune fille qui
réussit là où il a échoué. Pour la jeune fille, « c’est un consentement passif : plus
qu’un « dire oui », c’est un « ne pas dire non » vécu comme ce qui pourrait avoir
« une conséquence presque vitale »[5].
Le réel du sexuel n’est alors pas voilé par sa propre temporalité fantasmatique
et désirante.
Et la
manière de filmer cette scène met en effet le spectateur au plus proche de ce
hors sens qui fait « attentat » pour elle. La scène de sexe en plans rapprochés traduit la
confusion de la jeune fille. La caméra prend le parti du personnage féminin,
c'est son point de vue que la caméra tente de capter davantage que celui de
l'entraîneur. En ce sens il y a un engagement du film pour tenter de nous faire
comprendre « l'attentat du sexuel » du point de vue de la jeune
fille.
Après cette effraction
du sexuel, Lyz se retrouve dans une sidération silencieuse et douloureuse qui
la renvoie à sa solitude première. Mais elle reste combative. Mutique à côté d’un homme plus âgé qui la conduit en voiture, son
visage s’éclaire quand il lui fait entendre et apprécier L’Été des Quatre Saisons de Vivaldi.
Au gré des rencontres, un autre slalom semble se dessiner pour elle.
[1] Slalom de Charlène Favier avec Jérémie
Renier Noée Abita, Axel Auriant…, 2019, 1er long métrage de fiction,
sélection officielle Cannes 2020, sortie
en salle le 4/11/20.
[2] Vidéo Youtube https://www.youtube.com/watch?v=9ojfPFPLda0
[3] Site
officiel Charlène Favier
[4] Odol Gorri de Charlène Favier avec Noée
Abita…, 2018, https://vimeo.com/246517106
[5] De Georges Philippe, Emprise et consentement, 10/10/20, Blog des 50e journées d’étude de l’Ecole de la Cause freudienne les 14-15/11/20 : « c’est un consentement passif : plus qu’un « dire oui », c’est un « ne pas dire non », au désir de l’Autre et à la jouissance dont elles furent l’objet. […] Ce qui est sans doute le principe de l’impossibilité de dire non et de cette sujétion est dans ce qui fait éprouver par le sujet que le refus aurait une conséquence presque vitale pour lui. C’est semble-t-il son existence qui en dépend. On peut y trouver ce que Freud considère comme la source de toutes les formes plus élaborées d’angoisse : la peur de perdre l’amour de l’Autre, ou pour mieux dire l’importance que confère au sujet le soin de l’Autre, fût-il pervers. »
Marie-Claude Chauviré-Brosseau