Je vais y arriver
©François Chotard
Lisa Diaz
réalisatrice
« Je
vais y arriver »
Ce n’est pas seulement son père, cinéphile et grand collectionneur
de K7 VHS, qui pousse Lisa Diaz à s’orienter vers le cinéma, mais de bonnes
rencontres qu’elle a su saisir et des risques qu’elle a su prendre.
Première bonne rencontre : lorsqu’elle a quatre ans, son
père qui avait quitté Paris pour l’Ardèche après les événements de mai 68
décide, avec une bande d’amis, de faire un film fou qui n’a jamais été monté. Dans
ce film, une voiture 2 cv descendait la montagne et était embarquée sur un
radeau sur une rivière. Elle se souvient de cette expérience comme d’un mythe
inaccompli, un moment de joie, de fête entre copains qui « fabriquent
ensemble » quelque chose d’irréalisable. Tous en rient encore trente ans
plus tard, continuant d’espérer que son père finisse un jour son projet.
Puis enfant et
adolescente, accompagnée par ses parents qui « la nourrissent
artistiquement » c’est la découverte du cinéma de Fellini et d’Antonioni, et de
nombreux autres cinéastes présents dans la vidéothèque parentale. Elle se
souvient de sa terreur devant Le Bal des
vampires, de son émerveillement au théâtre et lors des spectacles vivants.
Elle est captée par la mise en scène et
le son, happée par le jeu des acteurs. Dans sa solitude ardéchoise heureuse et
libre, elle lit, elle écrit des nouvelles, une BD, un roman. Elle met en scène Les Contes du chat perché qui seront filmés par un ami de son père.
Deuxième bonne rencontre : « Une prof géniale» de
latin grec l’initie à la culture gréco romaine à tel point qu’elle prépare
l’Ecole des Chartes. Elle découvre Rome lors d’un séjour Erasmus quelques
années plus tard. Elle est subjuguée par la ville où flottent un esprit de liberté, une ambiance de fête avec
des étudiants venus de toute l’Europe. Enfin, la très bonne élève exigeante et
stressée peut mener une vie libre, ouverte à tous les espoirs. Elle redécouvre
le cinéma italien et se pose la question « qu’est-ce que je veux faire de
moi ? » Avec des parents qui lui demandent d’assurer un niveau de
diplôme Bac +5, elle ne s’était jamais autorisée à envisager une carrière
artistique. C’est ainsi qu’après une réussite au CAPES de lettres classiques,
elle rate le concours de la Fémis.
Troisième bonne rencontre : une copine l’emmène sur un
tournage. Et là, c’est la révélation. Elle adore être sur le plateau, assister
à la mise en scène. Elle revit l’aventure de ses quatre ans. Elle découvre que
son rêve d’enfant peut se réaliser : raconter des histoires en images,
« fabriquer un film ensemble » choisir et guider des acteurs.
« Un film c’est un objet artistique et artisanal. »
La prise de risque : l’éducation nationale l’envoie à
Quimper en premier poste après le Capes. En larmes elle réalise qu’elle « ne
veut pas de ça » elle ne veut surtout pas être prof comme son père. Et
malgré la parole paternelle « fais ce que tu veux mais on ne pourra pas t’aider financièrement » Lisa Diaz prend le risque de démissionner. Pari risqué
mais pari réussi… Une nouvelle chance s’offre à elle : on l’appelle pour être
scripte sur un film à l’ile d’Yeu puis sur d’autres courts métrages et d’autres
encore. Elle gagne un concours de scénario pour réaliser son premier court
métrage. « Je commence à gagner ma vie, je m’autorise à…Je vais y arriver».
Comme sa mère qui, à cinquante ans, a tout lâché pour vivre sa passion
d’artiste peintre. « C’est une femme libre, lumineuse et pleine de vie. Un
modèle de femme » dit Lisa Diaz.
Mais pourquoi s’engager dans cette « galère » de
cinéma que Lisa Diaz a pourtant choisie « pour aller jusqu’au
bout » quoi qu’il en coute parfois ?
Dans son deuxième documentaire Ce qu’il
reste à finir elle tente d’achever
ce film jamais fini de son père. Trente
ans plus tard elle retourne en Ardèche, remet la 2CV sur le radeau, retrouve
les acteurs vieillis, et revit avec eux l’utopie de leurs trente ans.
Dans ce documentaire, Lisa Diaz interroge le désir du père et
le reprend à sa charge.
Son moyen métrage Eva
voudrait interroge le désir d’une femme : que veut-elle ? Un
enfant, l’amour d’un homme ou sa
liberté ?
Qu’en est-il de son désir à elle, Lisa Diaz ? Que fait-elle de l’héritage de cette
utopie de la génération qui l’a précédée, celle de ses parents qui voulait
changer le monde, qui rêvait un avenir meilleur et une société égalitaire ?
« Le cinéma ne change pas le
monde » dit-elle mais il permet de « rêver l’utopie » incarnée
par des acteurs.
Comment faire avec « la défaite » dont on hérite,
comment traverser les défaites ? Cette
question est l’objet de son premier long métrage Zone libre dont elle est venue
travailler le scénario aux Ateliers d’Angers. Elle explore le moment de bascule
d’une génération à l’autre. Elle en fait une fiction. A travers elle, Il est
possible de « gagner en lucidité » pour espérer d’autres tentatives « forger
un espoir sur les vestiges des utopies de ceux qui nous ont
précédés ». « La révolution, on n’y arrive pas. Mais ce qui compte,
c’est le chemin » dit son père dans le documentaire ce qu’il reste à finir. Et le chemin de Lisa Diaz c’est le cinéma.
Dominique Fraboulet
Trailer "Ce qu'il reste à finir"
Participants des Ateliers d'Angers 2020 © Nathalie Guihard