Des films qui nous aident à mieux vivre







Franco Lolli

réalisateur
membre du jury du festival Premiers plans 2020



Franco Lolli est un réalisateur  scénariste et producteur colombien que nous avions eu le plaisir  de rencontrer en  2015 pour son film "Gente de bien".

Il s’agissait alors d’un premier long métrage racontant l’histoire d’Eric, 10 ans, qui se retrouve du jour au lendemain à vivre avec son père qu’il connait à peine.

Voyant que l'homme a du mal à construire une relation avec son fils et à subvenir à leurs besoins, Maria Isabel, la femme pour laquelle Gabriel travaille comme menuisier, décide de prendre l'enfant sous son aile.

Ce premier long métrage est en quelque sorte une adresse au père :

« Pour mon premier long-métrage, Gente de bien, je me suis intéressé à des personnages issus de milieux sociaux très distincts et à la rencontre entre ces deux milieux, au temps du rêve, au lieu du rêve; et même si ce projet s'inscrit aussi dans un registre réaliste et intimiste, et que mes méthodes de travail seront encore à la frontière du documentaire, il ne s'agit pas que d'une chronique mais aussi d'un conte moral. La rencontre entre deux milieux sociaux s'inscrit dans une histoire plus large et intime : là où mes films précédents étaient issus de mes expériences d’adulte et d’adolescent , celui-ci est intrinsèquement lié à des sentiments de mon enfance. Mais j'aspire avec ce premier long-métrage à faire beaucoup plus que ça. Je veux créer un nouveau regard cinématographique, À la fois digne, dur et aimant sur un pays que l'on représente  trop souvent de manière didactique ou édulcoré. Par là même je compte réaliser un rêve que  j'ai depuis toujours,  celui de rencontrer mon père »

Au cours de la table ronde qui nous avait réunis en 2015, Franco  Lolli  nous avait révélé que pour faire ce film il avait dû rencontrer une analyste, tant l’abord de ce sujet était pour lui une difficulté génératrice d’inhibition. Et puis, avec cette pointe d’humour dont il sait faire usage, il avait ajouté : « j’ai fait mon premier film pour pouvoir engueuler ma mère »

                                                                                                                gente de bien


Cette mère,  qu’il met en scène cette fois comme actrice dans son dernier film : Litigante

Litigante est une histoire de femmes. Le titre espagnol, traduit en français par «  une femme formidable » évoque plutôt la contestante, la bagarreuse.

Mais qui donc en fait est cette litigante ?


Franco Lolli est très clair : « il s’agit d’une femme de la quarantaine qui affronte seule de nombreux problèmes : elle élève seule son fils, a des problèmes au travail et sa mère est très malade. »

Cependant, au cours du film, l’évolution de la maladie de la mère  nous révèle une femme décidée, qui tient tête à ses filles, qui conteste les traitements qu’on lui propose, qui souhaite mourir plutôt que de subir les affres de la chimiothérapie.

On est troublé, car si Franco Lolli nous présente la  jeune femme comme étant «  une mère incroyable », il n’en reste pas moins que finalement, la mère incroyable, la « litigante » pourrait bien être cette femme malade, déterminée qui ne cède sur pas grand-chose au grand dam de ses filles, cette femme qui est sa mère.

C’est le film qui lui ressemble le plus dit-il, plus que le précédent où il avait cherché ce qui le touchait le plus.

Et il précise : « J’ai envie de regarder le monde à travers le prisme féminin ». «  Ça vient de ma propre famille, j’ai grandi seul avec ma mère qui vient d’une famille très féminines,  5 filles. Il y a quelque chose de ça qui m’a fasciné. J’ai voulu raconter ma fascination pour les femmes qui m’ont élevé »

Rappelons-nous que dans le film Gente de bien, c’est cette femme (de bien) Marie Isabel qui prend en charge l’enfant devant le désarroi du père.



La réalisation des films de Franco Lolli ne se fait pas sans embuches subjectives : il avait dû rencontrer une analyste pour la préparation du premier long métrage et, après un arrêt de deux années,  la nécessité d’y retourner s’est fait pressante car «  je n’arrivais pas à faire mon film, je fais un analyse cinématographique » Et cela permet, entre autre,  de comprendre pourquoi on fait les choses que l’on fait. Un film, on met beaucoup de choses sur la table, et dans le film, il y a beaucoup de sa propre vie, le cinéma consistant à raconter les choses du monde et des choses de soi-même »


Qui plus est,  réaliser un film  c’est aussi découvrir, dans la surprise,  un savoir  qui était jusque -là insu : soudainement, apparait sur cette autre scène qu’est le cinéma des éléments de sa propre vie, de ses proches, de soi-même, qu’on ignorait ou plus exactement qu’on ignorait qu’on savait : c’est une sorte de révélation : le réalisateur réalise, dans l’après coup que c’était là, qu’il croyait ne pas savoir. C’est un plus de savoir (et sans doute de jouir) qui se fait jour, inattendu, jubilatoire, le réalisateur percevant alors soudain qu’il a choisi ce qui s’imposait.


Franco Lolli dit ça à sa manière à propos de Litigante : « le film a permis que chacun dise des choses, ça permet d’ouvrir des choses, voir dans la mise en scène quelque chose, comprendre des choses de ce qui a été vécu, une catharsis, et du coup, je pense que je ne fais que ça. Il y a les choses qui se jouent consciemment et des choses qui se jouent inconsciemment, et le film se fait plus inconsciemment que consciemment, c’est intéressant mais en fait je ne choisis pas, mais à un moment j’ai choisi quelque chose qui s’imposait. Et même l’histoire du film, je ne la choisis pas, elle me vient et je la pose sur le film, je la montre. Ce n’est pas une décision consciente rationnelle, réfléchie ».


Ces films «  qui en savent plus que nous, qui nous disent qu’il faut montrer les choses telles qu’elles sont et non pas telles que nous voudrions qu’elles soient, les bons films (le Parrain, David Lynch, Nanni Moretti, et c..)  « nous aident à vivre mieux, ce sont des guides, ils aident à avoir des émotions et comme tous les arts, ils ont la fonction de nous rapprocher de la vérité et du sens. »


Alors, pourquoi s’intéresse- t-on autant au cinéma, pourquoi va-t-on dans une salle pour regarder la vie des autres ? « Parce que ça fait du bien, ça rassure, c’est un endroit de protection « où, sur une autre scène est donné à voir ce qu’on ne voit pas. Cela permet de se déprendre de la familiarité et que surgisse  à notre regard ce qu’on avait sous le nez et qu’on n’avait pas vu.



Gérard Seyeux


        
Une mère incroyable



             
photo François Chotard