D'où je viens




 
                                                                    photo Nathalie Guihard


Claire Burger




« D’où je viens » cette phrase prononcée à plusieurs reprises par Claire Burger lors de la Master Class des Ateliers d’Angers n’est pas sans évoquer celle de Lacan « d’où je parle ».

« D’où je viens » de Forbach, ville sinistrée de la frontière franco-allemande. Elle a compris très tôt qu’il faudrait en partir. Partir pour s’extirper de ce réel-là : le chômage, l’alcool, le racisme, la misère. C’est le cinéma qui lui a permis d’en partir. Elle n’était pas cinéphile mais son père l’a ouverte à la culture, très présente dans cette ville « où l’état remplaçait l’absence de travail par la culture ». Après son bac, elle trouve un emploi à la télévision locale et apprend à manier la caméra pour présenter les concours de boules et les inaugurations. Mais pas trop n’en faut. Deux ans plus tard, forte de ses compétences, elle postule à la Fémis en section montage. Et c’est parti….

Mais « le Réel revient toujours à la même place » dit Lacan. Et Claire Burger revient à Forbach pour filmer « d’où je venais » « ces gens que j’avais côtoyés pour les montrer ». Ce « transfuge de classe » comme elle se nomme, avait quitté Forbach comme on fuit une identité honteuse qu’on déteste, un accent germanique, un passé marqué par la guerre, une région froide où on l’on mange mal. Mais elle y revient… pour retrouver ce lien à cet endroit, essayer de comprendre ce qu’elle avait détesté, cette part « extime de soi » dit Lacan, cette part d’être « tu es celui que tu hais » que chacun se doit de retrouver au terme d’une longue analyse.

C’est avec la caméra que Claire Burger se confronte à son Réel. « Mes films ont fait ce que je suis » dit-elle. Ils  ne sont pas détachés de sa vie personnelle et elle aime jouer de ce trouble entre ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas. Ce sont des fictions à la limite du documentaire, dans les lieux de son enfance, dans sa maison. Elle fait jouer des gens proches d’elle, son père, des acteurs amateurs qui jouent souvent leur propre histoire. Les scènes sont écrites mais elle laisse une large part à l’improvisation, à leurs propres mots ; elle se laisse enseigner par eux sans les juger ni les condamner. Elle multiplie les séquences poussant à bout les personnages pour amener l’accident, la surprise, le réel auquel on ne s’attend pas. Car c’est la vie qui surgit alors, celle d’où elle vient et où elle revient. Avec le cinéma elle revient pour  « corriger plein de choses » faire dire à son père ce qu’il n’a jamais dit et ne dira jamais « je t’aime ». « Il y a quelque chose de fascinant à rendre la vie meilleure. » C’EST CA L’AMOUR  titre de son dernier long métrage. C’est ça faire un film : attraper la vie, attraper le réel et la mort aussi. « L’écriture a rapport au futur. Le tournage a rapport au présent, ce qu’on attrape du présent en luttant contre la mort, en incarnant l’humain. Le montage a rapport au passé, à la mort, ce qui a eu lieu et peut se répéter à l’infini » dit Claire Burger.

Mais encore pour Claire Burger, faire un film est aussi une rencontre des corps. D’une part, elle est sensible à la présence d’une personne dans son mystère, dans son mouvement, à sa façon d’occuper l’espace et de renvoyer la lumière. Elle attrape le regard, le regard qui lui fait honte comme le regard des acteurs  non professionnels qui lui font confiance. D’autre part, Claire Burger dit aussi «  un film est moins un portrait qu’une prise de parole » « qu’est-ce que ça dit, comment on dit, qu’est-ce qu’il reste derrière l’intention originale » qui évoque la phrase de Lacan : «  Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend». Au-delà du sens, c’est le son de la voix, l’accent, la matérialité de la langue, pour elle qui vit à la frontière de deux cultures.

« Mes films ont fait ce que je suis ». Merveilleuse leçon de cinéma.

Dominique Fraboulet


                                                                       C'est ça l'amour



                                                                                                                       Party girl


                                                                                           Claire Burge et Arnaud Gourmelen
                                                                                lors de la master class des Ateliers d'Angers 2019
                                                                                                  photo Nathalie Guihard