Le défi à relever






                                                       
photo Nathalie Guihard



Fisnik Maxhuni






« L’art, c’est pas pour moi. C’est réservé aux riches ».


C’était sans compter le désir, la transgression et le défi.


L’art n’est pas un métier, c’est un passe-temps pour les riches qui se posent des questions. Pour Fisnik, fils d’immigrés kosovars en Suisse, il fallait, pour s’en sortir, travailler à l’école et trouver du boulot. Il fait des études de sciences politiques pour devenir diplomate et part à Tokyo au ministère des affaires étrangères suisse. Mais là-bas, il se sent à l’étroit dans son costard et ne veut pas se laisser envahir par la torpeur administrative. C’est trop facile. Si donc ce métier réputé difficile pour un fils d’émigré, est trop facile pour lui, il peut aspirer à autre chose… à l’Art ; ce qui était « inatteignable ». Voilà le vrai défi. C’est un nouveau chapitre de sa vie. Il quitte ce travail comme il a quitté à quatre ans le Kosovo en perdant tout et surtout ses photos d’enfant. « C’est l’art de perdre » dit-il. Il faut aussi savoir perdre des pages d’écriture dans un scénario qui de cent quatre-vingt pages se réduira à quatre-vingt-dix. « Perdre ne me fait pas peur. » Partir, non plus. Le départ du Kosovo, dans l’urgence lui avait été présenté par son père comme une aventure, une drôle d’aventure, un défi à relever. Il décide donc de s’inscrire dans une école de cinéma.


Son désir de cinéma s’ancre dans l’enfance, enfance solitaire d’un enfant bègue qui se cherchait une voie, avide de voir des films qu’il regardait seul sur des cassettes VHS, bradées lors du passage au DVD. Il économisait l’argent donné pour le pain au chocolat qu’il ne mangeait pas ou les pièces données pour acheter le journal qu’il volait. 


Son premier souvenir marquant de cinéma est « Blue Velvet » de David Lynch. « Je me suis retrouvé devant quelque chose que je ne comprenais pas » l’énigme du sexe et de la violence. Et cette question qui n’avait pas de réponse «  pourquoi les gens sont-ils violents, qu’est ce qui peut les animer pour en arriver là,  eux qui n’ont pas connu la guerre. »  Il a essayé de trouver la réponse dans d’autres films et d’autres encore. Là aussi, il fallait relever le défi, le défi de vouloir comprendre ce qui faisait trou pour lui. 


Le cinéma est devenu une passion « chose qu’un émigré n’est pas sensé ressentir, lui qui doit d’abord subvenir à ses besoins. » Et Fisnik s’est autorisé à transgresser les codes,  « trahir sa classe » pour sortir du rang, soutenu par des parents qui ne comprenaient rien au cinéma, mais prêts à relever le défi « ce défi suprême» de recréer une autre vie, des souvenirs, des images, de trouver du sens, de défendre un projet, d’aller de l’avant ; c’est parfois violent mais enivrant. « Le défi, ça me traverse. Je n’aime pas le confort et quand le cinéma sera trop facile, j’arrêterai. »


Son premier court métrage « Lost Exile » met en scène une jeune femme Kosovar qui passe illégalement la frontière.


Son premier long métrage qu’il est venu travailler aux Ateliers d’Angers s’intitule «  La Terre de mes entrailles ». Apres des années d’exil, Val le personnage principal du film, retourne dans son Kosovo natal où l’exhumation d’une fosse commune dans son village le force à affronter des secrets de son passé.


Un nouveau défi à relever.



Dominique Fraboulet




                                                           Les Ateliers d'Angers 2019
                                                                                              photo Nathalie Guihard

                                                           
                                                                      Lost Exile