Viols en question...








Viols en questions…



Cette année 2019 au festival Premiers Plans, trois premiers longs métrages européens ont traité du viol et l’un d’eux « Comme si de rien n’était » d’Eva Trobisch a reçu le prix du jury.

En quoi ces trois premiers films réalisés par des jeunes femmes, nous permettent-ils de réfléchir à cette question brûlante d’actualité qu’est le viol ?

Eva Trobisch met en scène une jeune femme, Janne, qui lors d’une soirée d’anciens collègues de promotion rencontre Martin. Elle danse, boit beaucoup et propose à Martin de l’héberger pour la nuit. Mais lorsqu’il veut un bisou et plus, elle lui dit non. Devant ce refus, ne pouvant contenir sa pulsion, Martin la plaque au sol et, là, elle se laisse faire. Elle est sa chose, l’objet de jouissance d’un homme qu’elle n’aime pas. Elle n’existe plus, elle n’est plus rien et c’est intolérable pour cette jeune femme qui entend mener sa vie comme elle veut. De ce viol, de cet objet qu’elle a été pour l’autre, elle n’en veut rien savoir et continue de vivre comme si de rien n’était. Elle refuse d’être ravalée au rang de  victime. Elle dompte la haine qui monte en elle, jusqu’au moment où son monde qu’elle voulait sans faille, sans violence, s’écroule. 

Pour Janne c’est trop. Elle ne peut plus tricher avec elle-même. Soudain, devant Martin qui, à nouveau, tente de s’excuser, ressurgit ce qu’elle avait voulu refouler. Elle est alors dépassée par sa propre violence et perd tout contrôle. La victime qu’elle ne voulait pas être, devient le bourreau de Martin à qui elle refuse le pardon.





D’autre part, Ioana Uricaru dans «  Lune de miel » ne traite pas du viol comme sujet central du film mais de l’expérience traumatisante de l’immigration. Comme si de rien n’était, presque naturellement, le harcèlement sexuel fait partie « des tracasseries administratives » et de la violence auxquelles se heurte Mara, jeune femme roumaine émigrée aux USA, pour obtenir sa carte verte. Elle est confrontée à un fonctionnaire véreux qui exige d’elle ce qu’elle ne veut pas. Il lui est impossible de lutter contre cet homme qui représente l’autorité et contre lequel Mara n’a aucun pouvoir même au tribunal. Ce film nous montre la vulnérabilité de la femme du fait même d’être femme. Le sexe féminin est un moyen de chantage qu’utilise un homme pour assouvir ses pulsions destructrices.




Enfin Rosanne Pel dans « Light as feathers » aborde le harcèlement sexuel entre adolescents, non pas du côté de la victime, mais du côté de l’agresseur. Elle veut comprendre les motivations complexes qui mènent à un tel acte. Eryk, 15 ans, vit avec sa grand-mère et sa mère dans la campagne polonaise. Le père est absent. Eryk est proche, trop proche d’une mère dominatrice. Lorsqu’il tombe amoureux de sa jeune voisine, Erik ne sait pas discerner l’amour et l’abus, il la contraint à des rapports sexuels non consentis. Le fils soumis devient l’agresseur : «  Ton corps a déclenché un truc en moi » dit-il. Malgré la parole de la grand-mère « laisse la, tu ne peux pas la forcer », le « truc » se répète, tel père, tel fils. La violence d’Erik ne cache-t-elle pas une autre violence qui agit à son insu ? Rosanne Pel ne cautionne pas le comportement d’Erik « il est responsable de ses actes. Cependant un agresseur peut aussi être une victime. Quand il existe une transgression familiale, si personne ne s’y oppose,  des transgressions futures sont à prévoir ».

                                                                                                                                                                                     


Avec beaucoup de courage, ces trois réalisatrices explorent « la zone grise du non consentement » et mettent en scène le viol d’une façon inédite jusqu’alors. Eva Trobisch et Ioana Uricaru filment l’acte d’une façon très sobre, à peine visible, sans éclats de violence excessive, sans coups, sans cris ni pleurs, un acte minable presque banal.  Elles savent nous montrer les complexités de l’âme humaine, nous communiquer « l’infini d’un être » aux prises avec ce qui le dépasse. La brutalité et la soumission sont inscrites au plus profond de l’être parlant, homme ou femme. La pulsion peut se renverser, l’agresseur devenant agressé et la victime un bourreau. Ioana Uricaru va plus loin encore en voulant « travailler l’empathie » envers Erik. Elle évoque lors d’une interview,  le concept du pardon chez Hannah Arendt qui permet à l’être humain de se libérer des conséquences de son acte dans lequel il est enfermé à jamais. Par le biais de l’image, ces cinéastes donnent aux spectateurs un autre angle d’approche de cette question du viol, nous décalent de cette pensée commune «  les hommes sont des porcs et les femmes des victimes » et encouragent une nouvelle réflexion qui dépasse celle du mouvement MeeToo.

Premiers Plans, un cinéma qui dérange, interroge le monde.



Dominique Fraboulet