Ce qui se voit, ce qui se dit, ce qui se cache 2019










Table ronde cinéma et psychanalyse 2019




Un cinéma sur l’énigme du monde et sa violence cachée.





A l’issue de cette 31° édition du Festival Premiers Plans à Angers, quatre réalisateurs de longs métrages européens en compétition ont accepté de débattre de leur premier film avec des psychanalystes de l’Association de la Cause Freudienne -Val de Loire Bretagne à Angers, Alexandra Boisseau-Marguerite, Dominique Fraboulet, Gérard Seyeux et avec Thibault Bracq, programmateur du Festival,  qui accompagne et soutient ce projet depuis le début.

Marine Atlan, réalisatrice de Daniel fait face, Laszlo Csuja, réalisateur de Blossom Valley,

Rosanne Pel, réalisatrice de Light as feathers et Antoine Russbach, réalisateur de Ceux qui travaillent, s’interrogent. Si, cette année,comme l’a souligné Dominique Fraboulet dans son introduction -à lire dans ce blog-, ces jeunes réalisateurs ont mis en avant la question de la liberté et de l’enfermement, ils nous ont révélé, au cours de cette table ronde, que bien d’autres questions se cachaient dans leurs films. Qu’est-ce que devenir adulte ? Est-ce en passer par la paternité ?

 Se demander  si La liberté n’enferme (- t’elle) pas (?) n’est-ce pas aussi s’interroger sur sa propre position d’être au monde ? Et ce monde, avec toute sa complexité, comment le comprendre? D’où vient sa violence ? Qu’en est-il de la responsabilité de chacun ?

Autant de questions qu’ils se posent et qu’ils nous posent. Comment comprendre l’être humain ? Celui que nous sommes et ce prochain, celui dont on ne sait pas ce qu’il pense, qui ne peut être bon ou mauvais, qui gardera toujours cette part d’énigme à lui-même et aux autres, source de la plus grande insécurité. Car la question du rapport au monde n’est-elle pas aussi celle du rapport à l’énigme de l’autre ? Ce rapport à l’énigme, à ce qui se cache, derrière un regard, un mot, une phrase est en soi, déjà une violence, une violence sensible. Comme ce regard du jeune Daniel posé sur Marthe, qui provoque chez cette toute jeune fille ce double mouvement troublant de vouloir être désirée tout en refusant le désir qui l’objective, nous dit Marine Atlan. Qu’est ce qui, du crime et de la corruption ou de leur invisibilité car perpétrés à l’autre bout de la planète est le plus violent et met le plus à mal l’idéal de Franck, cet homme, ce père, dans le film d’Antoine Russbach ? Que dire de la violence cachée dans la norme sociétale pour Laci et Bianka, les personnages du film de Laszlo Csuja qui tentent, un temps, de gommer leur différence en accédant à une paternité volée ? Et la violence d’Erik, ne cache t’elle pas une autre violence, celle qu’il a lui-même subie, qui agit à son insu ; saura - t’il s’en défaire et couper la chaîne infernale, se demande Rosanne Pel?



À cette violence cachée, à cette complexité du monde, qu’opposent ces jeunes réalisateurs ?

Ils nous proposent du cinématographe, c’est-à-dire qu’ils cherchent à « transcrire le mouvement », le mouvement de la vie, par des images.

Et, en collant des images, des sons pour organiser le sensible, sous une forme que Marine Atlan qualifie d’ « impressionnisme » sans dire ce qui ne se dit pas, ou en racontant une fiction, une histoire, tout en utilisant le hors champ pour montrer ce qui ne se voit pas, ils réussissent à atteindre l’invisibilité de la violence. Paradoxe et magie du cinéma ! La fiction, composée de fausses réalités devient, en fait, une manière de comprendre la réalité.

Cependant il s’agit, avant tout, pour eux, de ne pas céder à l’attrait de la schématisation, de l’idéologie et du totalitarisme. Ils refusent tout jugement et renvoient le spectateur à sa pensée et à sa part de responsabilité.

La pensée se situe dans l’esprit du spectateur qui regarde le film nous dit Antoine Russbach. La pensée doit venir de l’observation de l’action. Chacun crée un discours intérieur par rapport à ce qu’il a vu. Christophe Honoré ne dit pas autre chose quand il dit que c’est le spectateur qui fait le film dans sa tête.



Et votre désir de cinéma ? interroge Alexandra Boisseau 

Quelle souffrance, avouent-ils, que cette nécessité d’en passer par la réalisation. Une très mauvaise idée d’être réalisateur ! Cela demande beaucoup d’efforts pour peu de reconnaissance mais impossible de faire autre chose, c’est la seule bonne raison. C’est inexplicable pourquoi on s’inflige ça. On aimerait bien faire autre chose car faire des films c’est une sorte de pulsion pour retrouver ce truc bouleversant, ce sentiment d’être au monde en l’observant et déployer son individualité avec beaucoup de liberté , cette affirmation prononcée par Marie Atlan est partagée : une manière d’exister précise Rosanna Pel  

Le cinéma impose au réalisateur qu’il se mette en position de fragilité, de quitter la maitrise.

Cela exige d’oser une mise à nu précise Antoine Russbach. Cela exige aussi d’accepter qu’il y ait un mystère, de ne comprendre pas tout de suite ce qu’ils fabriquent. Et de cet acte, de ce premier film, leur rapport à eux-mêmes comme au monde s’en trouve changé.



Et le spectateur ?

En écho au titre de cette rencontre « ce qui se voit, ce qui se dit, ce qui se cache »  ces jeunes réalisateurs nous indiquent : ce qui se voit n’est pas la vérité, il n’est pas nécessaire de montrer ce qui se cache ni de dire ce qui ne se dit pas pour atteindre cette vérité narrative, celle de l’innommable et de l’invisible.

Le plaisir des émotions, il faut partir de là.

C’est exactement ce que recherche Thibaut Bracq dans sa programmation pour nous offrir un cinéma qui interroge le monde et qui peut, à un moment donné, apporter une réponse. Il endosse l’entière responsabilité de ses choix, responsabilité qu’il partage aussi, avec les réalisateurs qu’il aura choisis. Responsabilité à laquelle chaque spectateur, dans sa singularité de sujet, devra aussi faire face.



Colette Baillou