La femme et son mystère
photo : Sandrine Jousseaume
Benoit Jacquot
Benoit Jacquot
réalisateur
Le Réel, ça s’attrape, et Benoit Jacquot l’opportuniste, ne le
laisse pas passer. Il y a un point de réel dans la rencontre entre un homme et
une femme, il y a du malentendu, une impasse et ça ne colle jamais. « Le conjugo
est une fantasmagorie » nous dit
Benoit Jacquot et dans son cinéma, il s’attache à mettre en scène et à éclairer ce réel. Et qui mieux qu’une femme peut l’incarner « la femme
est réelle » dit Lacan. « Qu’est-ce qu’une femme ? »
demande Freud « une énigme, un continent noir ». « J’essaie
d’en savoir quelque-chose de la féminité mais rien ne vient et c’est beau que
rien ne vienne » nous dit Benoit Jacquot « et si derrière le masque, il n’y avait
rien ». A défaut d’en dire quelque chose, il la filme
magnifiquement, non pas la femme car il n’y a pas d’universel de
« La » femme mais des femmes une par une, chacune dans sa singularité
et dans sa jouissance, et souvent dans cette jouissance féminine illimitée
du « pas tout » qui fera dire à Lacan devant la caméra de
Benoit Jacquot « toutes les femmes sont folles.... C’est même
pourquoi elles ne sont pas toutes, c’est-à-dire pas folles-du-tout,
arrangeantes plutôt ».
Benoit Jacquot n’est pas un homme à femmes. Il ne fait pas de
la femme son objet. Mais il fait de la rencontre entre un homme et une femme, un
vis-à-vis mystérieux, un mystère à percer comme l’archéologue qui fait surgir
de la terre, délicatement, une surprise. Et la femme constamment lui échappe,
comme le sens qui fuit et qu’on ne peut fixer. Il n’y a pas de dernier mot,
mais peut-être une dernière image ou un dernier amour, cet amour passion, cette
impasse radicale qui peut vous pousser au suicide ou à la psychanalyse ou à la
création d’un film.
Benoit Jacquot croit à
l’inconscient et le met en scène « Je recherche toujours l’angle
cinématographique qui produit une schize dans la représentation » qui fait
d’une femme un mystère et des hommes des sujets divisés entre amour et désir.
Ce fils de Marguerite Duras et de Jacques Lacan, comme l’a dit Bertolucci, fait
un film comme une cure analytique avec le temps pour voir, le temps pour
comprendre et le temps pour conclure. « Trancher, ponctuer, décider, Lacan
m’a appris à vivre ». « Je suis toujours analysant » dit-il "et
l’actrice est l'interprète, le sujet supposé savoir". « Elle se révèle à moi et me révèle moi à moi ».
Du réel comme impasse du rapport sexuel, il en fait un bon heur.
« Un film, je sais faire mais je n’en sais rien ».
Le film, comme le réel surgit de façon contingente et par surprise. Il faut
être opportuniste et savoir le saisir. Pour Benoit Jacquot le cinéma, est son sinthome, sa façon d’être
et de regarder le monde, « sa respiration ». « Dans la vie, je
ne cesse d’être réalisateur et toutes les femmes sont des actrices » dit-il. Le regard du cinéaste est la schize qui vient les diviser.
Mais pourquoi cet amour du réel chez ce petit garçon dont les parents s’aimaient et offraient le spectacle d’un conjugo parfait ?
Ses parents étaient cinéphiles. Sa mère tenait sa promesse
de lui raconter avant qu’il ne s’endorme seul dans le noir, le film
qu’elle avait vu et dont il rêvera. Son père, quant à lui, en analysera la
morale le lendemain.
Trois films l’ont particulièrement marqué : Bambi « je hurlais si fort que ma mère a dû sortir de la salle. Une fois
dehors, j’étais calmé, ma mère était bien à mes côtés ». A Bout de souffle film interdit aux moins de seize ans et vu en rentrant
par la porte de sortie. La Mort aux
trousses d’Alfred Hitchcock que sa mère lui a raconté de
multiples fois à sa demande avant qu’il ne le voie lui-même à 13 ans.
Jean seberg dans A bout de souffle
Jean seberg dans A bout de souffle
Ce désir de cinéma est venu très tôt, vers 12 ans. Il était un
garçon remuant, mauvais élève pour qui tout signe d’obligation et d’arbitraire était
insupportable. Il était difficile pour lui enfant de se soumettre à la loi du
père et de lui offrir une façon d’être conforme à la sienne. Malgré tout, ce
père comprend ce désir si insistant et l’abonne aux Cahiers du cinéma qui
parlaient de la subversion de la nouvelle vague et aussi de Lacan ; il lui
trouve un stage comme impétrant cinéaste, l’emmène à la cinémathèque et…l’émancipe à 18 ans, geste fort et d’une rare violence qu’il vivra comme un
désaveu de paternité. « Puisque je n’en faisais qu’à ma tête, ma tête ne serait
qu’à moi. Je ne m’autoriserais plus que de moi -même».
Un souvenir de Premiers Plans
L’année où il est président du jury en 2004, Isild Le Besco, son
actrice fétiche présente son premier
film Demi-tarif et reçoit un prix
qu’il lui remet. La moitié de la salle se met à siffler et l’autre applaudit. Le
film était diviseur. « Elle était très choquée et moi j’avais un grand
sourire comme un délice, comme le jardin des délices » conclut Benoit Jacquot.
photo : Sandrine Jousseaume
Isild Le Besco
photo : Sandrine Jousseaume
Virginie Ledoyen dans la fille seule
photo : Sandrine Jousseaume
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Isild Le Besco
photo : Sandrine Jousseaume
photo : Sandrine Jousseaume
Isabelle Hupert dans Villa Amalia
Isild Le Besco dans A tout de suite
Isild Le Besco dans Au Fond des bois
Diane Kruger et Virginie Le Doyen dans les adieux à la reine
Charlotte Gainsboourg et Chiara Mastroiani dans Trois cœurs
Anais romand dans journal d'une femme de chambre
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