Un corps à corps fraternel


Winter Brothers d'Hlymur Palmason

Winter Brothers, film de l'islandais Hlymur Palmason nous entraîne dans un univers visuel et sonore fait de dualité et de contrastes.

Le cinéaste, plasticien, fait de son film une véritable oeuvre esthétique où photographie, lumière et bande son apportent de manière croisée ou successive une dimension de puissance . Pour le spectateur il s'agit d'une expérience qui met les sens en éveil au delà de l'histoire qui nous est racontée.

Le cinéaste nous apprend que le film a été écrit sur le lieu du tournage et que la bande son a été composée en saturant le son sur les lieux de travail.

Et c'est dans ce lieu lui-même puissant que se déploie l'histoire d'Emil et de son frère Johan tous deux employés d'une usine d'exploitation de calcaire. D'un coté les galeries où travaillent les mineurs dont nous ne voyons que les taches de lumière des lampes frontales dans l'obscurité. De l'autre, l'usine où d'énormes machines cylindriques broient la roche sur fond sonore assourdissant. Tout est rude : le travail , le climat, le paysage mais aussi les relations entre les hommes. 

Le film passe de l'obscurité à la lumière , du tumulte des machines au silence des paysages enneigés, du noir des galeries au blanc du calcaire qui fait un masque aux hommes sortis de la mine, de l'éblouissement à la rudesse des conditions humaines. Un Germinal moderne?

Le cadrage est très précis découpant de véritables photos encadrées,une fenêtre par exemple qui vient nous indiquer que dans l'univers d'Emil c'est là que se joue l'amour qu'il porte à une jeune fille.Comment mieux illustrer ce que la psychanalyse nomme la fenêtre du fantasme ? D'autres plans fixes eux donnent la mesure de l'immensité et de l'étendue des paysages ou au contraire s'attachent à cerner une pierre, un détail du paysage.

Emil a des envies assez primaires, quelque peu animales, et n'a qu'un désir : travailler à l'usine et être aimé.Il est libre, plutôt asocial, son lien aux autres est fondé sur l'alcool frelaté qu'il fabrique avec des produits volés à l'usine et qu'il revend aux mineurs. Son lien social est rompu lorsqu'un des hommes tombe gravement malade. Le monde d'Emil s'effondre alors. Il a aussi un double, un tireur d'élite imaginaire. Il s'entraîne à tirer chez lui devant un écran où se démontre le maniement d'une arme. Johan son frère est un autre double qui prend soin de lui mais qui est aussi celui qu'il va haïr et essayer de battre dans un duel au corps à corps. Ils nous sont présentés, comme un tableau, dès le début du film allongés tête bêche sur une tas de bois. Nous les retrouvons également dans le fracas, au pied des machines gigantesques, Emil imitant en miroir les gestes de son frère.

                                       


Johan et Emil forment donc un duo, se battent en duel, l'un est le double de l'autre dans leur lien fraternel.

Johan s'est inscrit dans le lien social, adapté à sa vie de travail malgré la rudesse. Emil, lui est inscrit dans un lien à l'autre très fragile, hors la loi et qui dérange l'ordre social. Par ailleurs il s' appuie essentiellement sur son frère et sur ses rêves, l'imaginaire lui permettant de faire face à ce qu'il y a d'impossible pour lui .Quand son lien avec Johan est mis à mal il affronte son double, celui qu'il aime et qu'il hait. La rivalité des deux frères, telle qu'elle s'enracine dans l'enfance, convoitant le même objet d'amour est alors à son comble .

Le film laisse peu de place à une construction imaginaire du spectateur qui se trouve pris, enserré dans cet univers rude dont ne sortent pas les personnages. Rien ne conduit à imaginer d'autres choix dans cet univers cinématographique qui se rapproche d'une installation plastique contemporaine. Les choses sont là où le cinéaste les a placées assignant peut-être le spectateur à les regarder et les entendre, à les laisser là où elles sont. 

Jocelyne Turgis