Il faut toujours commencer par dire oui


Jacques Chambrier  
Trésorier de l’association Premiers Plans 

« Il faut toujours commencer par dire oui, par accueillir ce qui vient. On verra ensuite s’il faut dire non ».

Ses premières émotions au cinéma sont liées à la découverte de Akira Kurosawa et son film Ran « un monde que je ne soupçonnais pas, un autre monde, le moyen âge japonais avec son exigence de maitrise ».




                                                                       Ran bande annonce


Puis le Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola un film à la fois sur l’impermanence et sur la fidélité : les sentiments changent, ce qui semble acquis à un moment donné ne l’est plus quelque temps après, mais les valeurs fondamentales restent chez ces personnages exemplaires, la tendresse et la bienveillance.


         

Nous nous sommes tant aimés bande annonce

« Quand un film vous ébranle, c’est qu’il touche quelque chose d’intime en vous ». Il est alors nécessaire d’accueillir, de laisser vivre en soi une belle émotion en prenant le temps de l’apprivoiser, sans chercher à l’effacer par une autre. Il faut aussi s’autoriser à regarder l’inavouable au fond de soi que la censure a barré et que le cinéma, par l’intermédiaire de l’identification aux personnages, a fait resurgir ; ce qui est là et qu’on ne connait pas de soi. « Le cinéma ouvre des petites fenêtres sur soi qu’il faut savoir saisir ». Il y a tant de projection inconsciente dans la projection cinématographique.

Cette certitude l’a guidé dans son travail d’enseignant à Ciné-sup à Nantes : dans l’atelier de création de personnage, chaque étudiant devait choisir d’incarner quelqu’un qui était très éloigné de lui-même afin d’éviter le psychodrame, de rester sur le terrain de la fiction ; et pourtant surgissait toujours pour chacun une part intime dont lui seul avait les clefs et avec laquelle il « jouait » sans se dévoiler, il créait.

Enfant, Jacques Chambrier se rêvait en héros de bandes dessinées, non pas en guerrier remportant des victoires, mais comme Rahan, le fils des âges farouches, inventant sans cesse pour surmonter les difficultés, faire avancer les choses, aider les autres à se libérer.


Rahan, fils des âges farouches


Cet idéal, il le retrouve dans Z de Costa Gravas et dans le premier film de Jacques Doillon, la belle utopie d’une révolution pacifique de L’An 01 : « on arrête tout et on réfléchit ».


           


L'An 01 bande annonce

« L’imaginaire et l’utopie il en faut pour vivre », pour alimenter une part nécessaire de révolte, pour inventer de nouveaux rapports sociaux et faire avancer les idées qui paraissent justes, pour bousculer le présent et ne pas se contenter de ce qui est.

Le cinéma n’est pas pour lui une expérience solitaire : la télévision offre une image d’image comme une reproduction dans un livre offre une image d’un tableau disait Godard. Voir un film « c’est aller au cinéma », dans une salle où d’autres vont vibrer, regarder, partager puis discuter : ensemble. « On vibre comme dans une manif » Quelque chose passe entre les spectateurs, un souffle, un peu d’âme.

De même, réaliser un film est une œuvre collective où se mêlent la complicité et la confrontation ; « il faut toujours commencer par dire oui et accueillir la proposition de l’autre, quitte à la rejeter ensuite » si cela ne convient pas. C’est la grande leçon que lui a donnée Philippe Avron dans le film Passeur d’humanité qu’il a réalisé sur sa démarche créatrice. Dans la création « il ne suffit pas d’avoir du talent, il faut aussi s’autoriser à en avoir », à risquer, à faire bouger les choses.

Premiers Plans nous permet d’accueillir collectivement ces premiers films dont on ne sait rien, ce qui vient, ce qu’on ne connait pas, ce qui bouscule le présent et porte demain. Que de vibration dans la grande salle quand est projeté un premier film, quelle émotion pour le réalisateur !

Un souvenir personnel de Premiers Plans : « l’année de la rétrospective Rainer Werner Fassbinder en 1999, le réalisateur qui estimait que « les films libèrent la tête », l’actrice Hanna Schygulla qui est ovationnée fonce sur moi et vient me saluer en disant « On se connait ». Pris au dépourvu je lui réponds « Moi, je vous connais ». Après coup « je me suis dit, qu’avec ma moustache, j’avais peut-être un air de Fassbinder ».
                                 
Hanna Schygulla à Premiers Plans
                                                       
Rainer Werner Fassbinder

Dominique Fraboulet