Dans l'ombre et la main dans le cambouis



Catherine Bailhache
Est à l’origine de la création de Premiers Plans


Premier souvenir de cinéma : du son sans l’image Hiroshima mon amour, que sa mère avait enregistré dans une salle et repassait en boucle chez elle. Elle se souvient des voix, des chuchotements et des larmes perçus derrière la porte.


Hiroshima mon amour

Puis à 14 ans le vrai choc de cinéma Le Boucher de Claude Chabrol, à la fois rude et subtil. Le cinéma, à la différence de la littérature fixe les contours, le rythme, la couleur.

Le Boucher

Puis à l’école des Beaux-Arts (où elle s’était inscrite contre l’avis de son père qui la voyait ingénieur comme lui) la rencontre avec Claude Eric Poiroux qui donnait un cours d’histoire du cinéma. Là commence la vie, dans le cinéma, au « Club » où elle est ouvreuse malgré l’appréhension de devoir se mettre en jupe. Elle y fait le ménage, la caisse, la marchande. Elle fait déjà de la promotion en essayant de convaincre les gens de modifier leur choix de film pour celui qu’elle aime. Elle trie et vends des affiches, organise et dirige les opérations. 

Puis à 20 ans directrice des « 400 coups » puis l’aventure de Premiers Plans, « à condition que ce soit avec les gamins ». Elle voulait que les gamins voient les grands, viennent et interrogent le jury, qu’ils soient là. Des enfants, elle n’en a pas voulus, ne sachant si elle ferait mieux que sa mère qui donnait des livres à lire mais ne donnait pas à manger, la jetait dans le cambouis et « débrouille-toi ». A défaut d’être une mère réelle, elle est une mère intellectuelle : faire valoir un jeune cinéaste, éduquer les enfants à l’image, ne pas livrer ces gamins à eux-mêmes sans explication, mais verbaliser, les aider à comprendre et transmettre : « j’aurais voulu qu’on fasse ça pour moi ». Transmettre, pour elle, c’est dire la suite. Mais pas n’importe comment : plutôt La Nuit du chasseur où le bien vient contrecarrer le mal que Le Joueur de flûte de Hamelin et l’ignorance de ce qui arrive aux enfants.

Pour transmettre et dire la suite, pour ne pas se retrouver comme le cinéma allemand d’après-guerre, déserté, où il n’y avait plus de cinéastes pour transmettre leur savoir, il faut des gens pour diriger les opérations, mettre des cadres, des règles, quitte à changer les règles, créer un collectif pour trouver des idées nouvelles et avancer, créer un réseau, mettre en relation, et coordonner, mettre en place des négociations, discuter avec les banques, avec le méchant qui ne l’est pas, aller au conflit, s’expliquer ; en bref, il faut dealer. Il faut se débrouiller.

Il faut une patronne, un collectif et un réseau. Et c’est ce qu’elle fait, ce qu’elle est, solitaire, dans l’ombre et la main dans le cambouis.

Un souvenir de Premiers Plans : la troisième année, dans la grande salle du Colisée réservée à la compétition, rien ne marchait. Claude-Eric lui demande « Qu’est-ce qu’on fait, On arrête ? » Et elle : « on continue, on trouve une solution ». Elle sait se débrouiller.


Dominique Fraboulet