Le cinéma au cœur de la vie

© Sébastien Aubinaud

Louis Mathieu
Enseignant de cinéma, secrétaire adjoint et membre du conseil d’administration de Premiers Plans et président de Cinéma Parlant.



Au commencement, il y a la peur de la disparition de ses parents, ensuite la littérature, la conscience de l’existence et de ses limites. Puis, vient le cinéma.

Deux films ont marqué la jeunesse de Louis Mathieu : Un soir, un train d’André Delvaux où il est question de la mort dans un accident de train ; La Chartreuse de Parme (film et roman), au delà des prisons, comme une rencontre avec l’infini, l’ouverture sur tous les possibles ; des films d’aventure, la vie d’aventurier, avec le risque et la découverte, là où on va « au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau » ; et Louis Mathieu nous confie qu’il est un peu jaloux de ceux qui peuvent découvrir de tels films, ressentir alors l’émotion de la première fois.




Un soir, un train d'André Delvaux



La Chartreuse de Parme de Christian-Jaque


Le cinéma, c’est une rencontre avec soi-même, et aussi la confrontation avec l’altérité. « L’altérité qui est toujours un mystère ».

C’est la rencontre avec un idéal qu’on ne peut atteindre, l’autre que nous sommes pour nous même, et le corps que nous ne maîtrisons pas, ce qu’on aurait pu être et qu’on n’est pas, la parole qu’on aurait pu dire et qu’on n’a pas dite. C’est la confrontation avec la mort, l’échec, la rupture amoureuse. C’est un miroir de la vie, et une épreuve de vérité. 

Mais si le cinéma nous met face à nos limites, il nous permet aussi de franchir les frontières imposées par nos conditions d’existence, ou parfois de les accepter. Ainsi Antoine Doinel (chez François Truffaut) nous montre que nous n’avons pas besoin d’être Apollon pour être aimé, que la maladresse, on peut trouver moyen de la rendre aimable. 

Antoine Doinel dans Baisers volés

Arnaud Desplechin, dans La Vie des morts nous aide à faire notre deuil, à nous en libérer, « à savoir que la mort existe, et à ne penser qu’à la vie ».

L’altérité, c’est donc la rencontre avec l’Autre avec un grand A, celui devant lequel l’enfant se sent tout petit et que le cinéma nous permet aussi de retrouver, une parole, un regard, le timbre d’une voix, « sans qui nous ne pouvons exister », la prise de conscience de sa mort possible et l’angoisse de dépendre de lui. Un souvenir soudain : le sermon du prêtre de la paroisse de son enfance qui s’adressait à chacun en le regardant ; et cette notion de transcendance, inculquée par des parents catholiques.

Dans le cinéma, ce qui l’intéresse, c’est le hors champ ; cet espace avec des trous, offert à notre envie d’être actif, ce vide que l’œuvre a laissé et que le spectateur peut remplir avec son imaginaire, un imaginaire qui aide à vivre et qui finalement prépare à recevoir plus intensément la beauté du monde, ce que les yeux bouchés par la vie quotidienne ne voient plus ; « et ce n’est pas pour rien que Buñuel, dans un de ses films, tranche l’œil avec un rasoir », c’est l’œil de la routine ordinaire dont il faut se délivrer, pour s'ouvrir à plus grand que soi.

Un chien andalou
L’altérité enfin c’est la rencontre avec tous les autres : le cinéma est aussi une expérience collective ; dans la salle d’abord où Louis Mathieu sent les réactions des autres, « le mimétisme du regard et du désir » ; dans les cafés ensuite où plus jeune, il refaisait le monde après la projection de L’Aveu de Costa Gavras ou les films de Godard. Mettre en commun les idées pour porter un regard lucide sur le monde ; « nous sommes cent fois plus intelligents à plusieurs » ; vivre la solidarité, la transparence aux autres, sans l’hypocrisie des conventions sociales et sans craindre le regard d’autrui.



L'Aveu de Costa Gavras

« Le monde pourrait-il être autrement, et que pouvons-nous faire pour cela ? » : enseigner, partager et transmettre. La transmission passe aussi par le cinéma qui permet d’amener les jeunes à « la contemplation active », à « l’ascension intérieure », à grandir avec l’image par le regard, à condition toutefois de les éduquer au cinéma, à cette image qui mal employée peut aussi tuer. Dans la transmission, « avant il y avait les grands-mères, et maintenant il y a les vidéos et les tutos de YouTube ». 

Surtout, il y a Premiers Plans et Cinéma Parlant, des tremplins pour les plus démunis, les plus jeunes, grâce notamment aux rencontres avec les professionnels. 

Un souvenir de Premiers Plans ? 

La rencontre avec Jane Birkin et un groupe d’élèves qui s’étaient acharnés à la rencontrer, elle qui n’était pas encore sortie des terribles épreuves de deuil qu’elle avait connues. Elle s’est livrée à la rencontre dans un état de disponibilité et de générosité totale, avec un éclat dans le regard comme un éclair, comme le miracle d’une présence à l’Autre qui transcende les stratifications sociales. Le petit élève égalait la star, qui leur expliquait « il faut être têtu ». 

Le festival Premiers Plans est un moment d’exception, de fête, de vie, et une expérience pédagogique avec les plus jeunes, les plus modestes qui grandissent soudain avec les stars. 

Une star me regarde, et moi le tout petit, j’en suis tout ébloui, « je mesure le chemin à parcourir, je souhaite y parvenir. Comme un élan qui nous est donné pour la suite de nos vies…. 


Jane Birkin à Premiers Plans en 1993 © Jean-Patrice Campion

Jane Birkin à Premiers Plans en 1993 © Jean-Patrice Campion


Dominique Fraboulet