Premiers Plans dérange ?
Les Premiers
Plans de la 30e édition
Retour sur les longs métrages en compétition officielle 2018
Si ces Premiers Plans nous dérangent, nous font quitter notre
zone de confort, c’est qu’ils nous renvoient au Réel de la vie, de la mort, de
la sexualité, à notre imaginaire, nos fantasmes, nos peurs ; ce Réel pour
lequel nous n’avons pas de réponses toutes faites, pas de mode d’emploi. « A
chacun d’y trouver sa réponse. Il n’y a rien à expliquer », nous disent
ces jeunes réalisateurs et ils ne sont pas là pour çà ; tout au plus
peuvent-ils nous donner « un ressenti ».
Mais quel magnifique ressenti pour ce trentième anniversaire
de Premiers Plans. Ce réel est traité de façon moins crue, moins dure, moins
déprimante que les années passées et porté par une esthétique formidable dans Winter Brothers. Nous nous laissons prendre par la beauté des
images, la fascination de la lumière, l’envoutement par la musique qui le temps
du film, comme dans un rêve, nous font oublier l’incompréhensible de la mort du
frère comme dans le film Valley of shadows de Jonas Matzow
Gulbrandsen.
Valley of Shadows
« Tout le monde est en train de mourir » dit
Alireza Khatami, nous avons peu de temps pour profiter de la vie, l’éternité
pour profiter de la mort. Chaque mort a eu son histoire et mérite une sépulture
comme une nouvelle Antigone. L’oubli de l’oubli, c’est ça le véritable
oubli ; alors vis, vive la mort, la vie est courte ; souriez, rigolez
si vous avez envie.
Comment peut-on vivre en sachant qu’on va mourir ? Eh
bien parce qu’il y a des règles. Il y a des règles pour les gens, pour les
animaux, la nourriture, les bananes et il y a des règles pour la mort, nous dit
avec humour Kim Hiorthoy dans The Rules for Everythings .
Mais il y a aussi leurs règles à eux, ces jeunes cinéastes,
pour brouiller les pistes et mobiliser tout un village pour camoufler un crime dans Gutland ; les règles à transgresser pour refuser le mariage
imposé par une vie à l’étroit dans le Caucase dans Testona.
Et quand le réalisateur ne comprend rien, quand il ne
comprend rien à l’autre, à l’irruption de l’étranger, l’anormal, la solitude,
il invente des monstres dans the Cured, des zombies dans la nuit a
dévoré le monde.
Quand il ne comprend pas l’étranger en lui-même, la pulsion sexuelle salée et sucrée, douce et
amère qui pousse au viol et au meurtre, Bertrand Mandico invente le
fantastique, une alternative à la prison, la métamorphose en femme du violeur à
qui il pousse des seins et tombent les précieux organes sexuels dans Les
garçons sauvages.
les Garçons sauvages
Et toujours le traitement par l’amour et l’incompréhensible
de l’amour. Ce n’est pas l’amour idéal pour toujours que nous proposent ces
jeunes réalisateurs mais le manque d’amour ou le trop d’amour, l’amour qui
étouffe et enferme, l’amour qui pousse au meurtre quand il échappe dans Jusqu’à la garde, l’amour qui pousse au sacrifice de sa propre vie pour
sauver sa mère ou sa famille dans Il Figlio, Manuel, le semblant d’amour
pour l’étranger dans Gutland ; l’amour pour quelques jours
seulement : « Je ne crois pas que l’amour va changer le monde, nous dit
Marina Stepanska dans son film Strimholov, mais on y va quand même car ces
moments valent la peine ici et maintenant ».
Et chose peu traitée ici à Premiers Plans, l’amour fraternel sur fond de rivalité et d’ombre, de fascination pour le rebelle et celui qui comme Icare se brule les ailes à s’approcher trop près du soleil. Encore la question de l’autre qu’il soit le frère ou l’étranger, l’objet d’amour ou le rival, l’ombre ou la lumière dans Broers.
Il y a de l’inconscient dans le cinéma ; il en dit
toujours plus qu’il ne veut en dire ; et c’est pour explorer cette Autre
scène que les psychanalystes de l’ACF sont présents sur le festival.
Dominique fraboulet