Ce qui se voit, ce qui se dit, ce qui se cache 2018
Colette Baillou, Aliréza Khatami, Thibaut Bracq, Jonas Matzow-Guibrandsen, Bram Schouw, Dominique Fraboulet, Alexandra Boisseau |
Table ronde cinéma et psychanalyse 2018
La table ronde cinéma et psychanalyse nous a permis de converser avec Jonas Matzow-Guibrandsen réalisateur de Valley of Shadows, Aliréza Khatami réalisateur des Versets de l’oubli, Bram Schouw réalisateur de Broers et Thibaut Bracq, programmateur du festival.
Cette rencontre qui ponctue les dix jours est toujours un moment d’exception, comme en témoigne Thibaut Bracq : « j’aime beaucoup cette discussion qu’on a tous les ans à la fin de la compétition, ça permet vraiment de révéler des choses, la façon de travailler ».
Ils sont inquiets mais en ressortent
satisfaits. « On ne m’a jamais interrogé de cette façon » nous disait un réalisateur à la fin d’une de ces tables rondes, il y a quelques années.
Igmar Bergman à qui on posait la
question de savoir ce qu’était un film a donné cette réponse : « un
film, c’est tellement de problèmes pour un réalisateur qu’il n’a pas le temps
de réfléchir »
Car effectivement, c’est un moment
particulier de réflexion, voire de "réflection"
au cours duquel, dans ce miroir que constitue cet intermède, certains réalisateurs vont entre-apercevoir un reflet inattendu, comme Franco Lolli qui
découvrit subitement et dans la surprise qu’il avait fait un film « pour pouvoir
engueuler sa mère ».
Et cet autre réalisateur qui nous dit : « je suis toujours surpris par le public. Faire le film et après analyser et montrer, je pense qu'il y a toujours de nouvelles choses qui apparaissent et c'est très bien ».
Dans son texte Contre Sainte-Beuve, Marcel Proust critique celui-ci qui considère que l’oeuvre
d’un écrivain serait avant tout le reflet de sa vie et pourrait s’expliquer par
elle, que fondamentalement, il y a toujours de la biographie en cause. Pour
Marcel Proust : « l’homme qui fait des vers et qui cause dans un salon
n’est pas la même personne ».
Jonas Matzow-Guibrandsen |
Bram Schouw |
Aliréza Khatami |
Alors, pourquoi fait-on des films ? Rechercher une part de
vérité ? Etre près des choses ?
Etes-vous d’accord avec Vincent Macaigne
demande Colette Baillou, qui dit que « finalement un film, c’est
toujours documentaire, ça permet de camoufler quelque chose d’intime ».
Bram Schouw : « D'une certaine manière chaque film cherche une part de
vérité, quelque chose de réel, très personnel pour comprendre comment les gens
se comportent ou comment je me comporte et ce que je trouve compliqué ou intéressant dans la vie. Quand
j'étais jeune, i'ai voyagé dans le monde avec juste mon appareil photo et en
ayant cet appareil photo, j’étais forcé à regarder le monde à travers un cadre.
Cela m'a donné une vision différente des gens. Et au début je me sentais à la
fois un peu timide et un peu grossier d'être si près de quelqu'un et de le regarder mais quand il y a quelque
chose entre, il y a plus de décence mais en même temps, je pouvais aller
beaucoup beaucoup plus près. C'était pour moi le point de départ pour devenir
réalisateur et essayer d'être aussi près que possible des choses que je trouve
fascinantes et surpasser ma propre timidité ».
De même, Aliréza
Khatami parle du film comme produisant une révélation, à l’insu du réalisateur,
dans un effet de vérité à la manière d’une formation de l’inconscient, un grand
lapsus : « cela cache quelque chose d’intime, révèle ce que l'auteur voulait cacher ».
On peut faire un film car on est
encombré avec le langage, car « on ne fait pas confiance au
langage » :
Jonas Matzow-Guibrandsen nous dit : « C’est aussi probablement aussi pourquoi je suis devenu réalisateur parce que je préfère ce langage (du cinéma) plutôt que de parler comme ici. Pour moi, le cinéma est un langage dont je me sens proche, et je sens que cela a toujours été un bon moyen pour m'exprimer. C’est un voyage personnel de développement, mais j’essaie de ne pas être trop conscient de ce que je fais, mais ce n’est pas facile.
C’est essayer d’attraper le côté magique d’un moment ; des choses passent qui n’avaient pas été planifiées.
Faire un film, faire une analyse ? Cela peut être une question de vie ou de mort.
Aliréza Khatami : « Je ne peux pas vivre sans le cinéma, c'est la seule chose pour laquelle je vis, je respire, j'aime. Je ne connais rien d’autre. Le langage est le début de l'incompréhension comme Roland Barthes a dit. Je pense que c'est impossible de montrer ce qu'il y a dans ma tête. Le cinéma est le seul moment où je peux partager quelque chose qui est dans ma tête avec quelqu'un d’autre. Je suis un muet, le monde est mort. C'est pour cela que je fais des films. C'est comme une psychanalyse. Faire un film... Je me rappelle d'une blague : à la question de pourquoi je faisais un film, j'ai répondu parce j'ai été traumatisé. Et la psychanalyse est trop chère alors j'ai fait un film. C'est regarder au fond, regarder les abysses avec l’espoir d’avancer. On nomme le monstre, et on peut passer à autre chose. »
Bram Schouw considère que : « le cinéma le maintient en vie. »
Pour autant, c’est un lieu où l’on s'expose, où l'on risque, où l’on se risque. Or, quoiqu’on fasse il y transparaît de l’intime. Cette exposition n’est pas sans conséquences.
Bram Schouw : « évidemment c'est un procès très vulnérable (de faire un film). Mais c'est difficile de prendre de la distance avec soi-même parce que le film reflète ce que vous êtes et les gens se font une opinion de vous et évidemment c'est très difficile. Cela peut être très gentil. Et cela peut être très douloureux si les gens disent que vous être ennuyeux. »
Et ensuite, m'est venu le sentiment que la seule peur, la seule chose que je ne pourrais pas "romancer" serait la mort de mon frère. Faire ce film donc c'était une manière de regarder cette bête en face, dans les yeux.
Le cinéma, une affaire de corps ? On fait un film avec ses tripes ?
Aliréza Khatami : « J’aimerais juste voir le cinéma comme un moyen non intellectuel mais quelque chose qui communique à travers, fait appel à l'instinct, l’intuition ; il y a des films qui me "retirent" tous mes outils analytiques et communiquent juste avec mon ventre. Et c'est aussi de cette manière que j'entends faire des films : revenir à cette intuition première. Parce que cela devient trop rationnel ou intellectuel, quelque soit le mot que vous utilisez, je perds le désir. »
Le cinéma, une affaire de désir ?
La réalisation d’un film permet d’expérimenter ce qu’il en est de la structure du désir, cette bizarrerie qui es toujours conjointe au manque, au « ça n’est pas tout à fait ça, c’est toujours autre chose, désir d’autre chose.»
Jonas Matzow Guibrandsen utilise cette métaphore : « Pour moi faire des films c'est un peu comme la pêche à attendre le saumon et se rendre compte qu'il est si petit quand vous l'avez attrapé….et le gros saumon, on ne l’attrape jamais. Et c’est pour cela que l’on continue. »
Aliréza Khatami explique que quand il aura « trouvé », il pourra enterrer sa caméra : « honnêtement mon désir le plus gros est un jour de faire un film et de me dire j’ai fait ce que je voulais faire et maintenant j'enterre ma caméra. Ça c'est le désir exact. Et après je deviens avocat. »
Dans un autre domaine qui est celui de la littérature Maylis de Kerangal considère que pour elle « écrire c’est interpréter le réel »
Il semble bien, à travers ce qu’ont pu dire les trois réalisateurs que cette formule puisse s’appliquer également au cinéma « dont l’un des pouvoirs les plus puissants est que vous êtes capable de voir le monde à travers différents axes » précise Jonas Matzov Guibrandsen.