Jusqu'au bout de la liberté

 


Christophe Granger au festival Premiers Plans


Christophe granger 

réalisateur de Coupeur de route

 

Christophe Granger a reçu le prix des bibliothécaires pour son premier court métrage « Coupeur de route » lors du festival Premiers Plans 2023.

Son premier souvenir de cinéma est celui d’un ratage. C’était la première fois qu’il choisissait lui-même à 8 ans, d’aller en salle et c’était Jurassic Park. « Mon premier choix » dit-il « Des dino qui bouffent tout le monde »… Qui voulait-il voir bouffer ce petit garçon ? Mais il ne le verra pas. La machine étant tombée en panne, la projection n’a pas eu lieu. Il l’avait pourtant attendu cet événement important. Il lui reste le souvenir d’un formidable moment d’émotion collective.

Vient ensuite « 2001, l’Odyssée de l’espace et ce moment inoubliable où le premier homme brandit le silex, prémisse du long chemin qu’empruntera notre humanité et… Christophe.

« Le cinéma, ça m’a construit. C’est une fenêtre sur le monde, une expérience unique ». Christophe, adolescent timide et réservé qui a bien du mal à aller vers les autres, découvre des émotions inédites qui surgissent et apprend la vie avec les films qu’il visionne seul chez lui. Il s’échappe. Il explore. Au cinéma il y a là du possible, des barrières qui peuvent être franchies, un savoir sur l’Autre notamment avec le cinéma asiatique et cette étrange cérémonie du thé. « Je découvrais. » Il est fasciné « c’est ça ce que je veux faire »  et décide d’en faire son métier. Une formation en audiovisuel le mène à la production.

Mais un désir le taraude. S’autorisera-t-il ? Peut-il lui aussi écrire une histoire, donner vie et chair à des personnages imaginaires qui habitent ses pensées et se bousculent dans sa tête ? « A 34 ans c’est maintenant ou jamais de prendre le chemin. » D’avancées en reculs, d’espoir en doute « je me lance pour de vrai ». Il s’attable à l’écriture d’un premier scénario puis d’un film autoproduit puis d’un premier court métrage. Il affronte alors la réalité pour remplir d’énormes dossiers et trouver des financeurs. C’est long mais c’est gagné. Coupeur de route  est sélectionné dans différents festivals et reçoit un accueil enthousiaste. Quelle formidable émotion de voir son premier court métrage projeté dans le grand auditorium du centre des congrès d’Angers, et de la partager avec des centaines de jeunes et de moins jeunes spectateurs.

Au départ du processus de création il y a pour Christophe Granger un lieu, un lieu chargé d’émotions, de sensations, de souvenirs. Le bien être dans les montagnes où il passait enfant du temps en famille. Les arrêts sur la route des vacances sous la chaleur et l’odeur du bitume. Le goût de la liberté sur les chemins de l’Europe. Une aire d’autoroute inquiétante en pleine nuit où il avait « flippé ». Qui hante ces lieux, peut-on se laisser aller à la rencontre ? se demande-t-il.

L’émotion est souvent citée par le cinéaste lors de notre entretien et s’il n’arrive pas toujours à trouver les mots pour la qualifier, il nous la transmet dans Coupeur de route avec des images magnifiques entre l’ombre et la lumière, des regards dans le miroir, des gros plans, un format carré qui se resserre sur les personnages que le spectateur accompagne, une grande pudeur dans les scènes sexuelles qui sont suggérées sans être vraiment vues, une inquiétante étrangeté. Un sentiment de malaise naît avec la rencontre de Nino, un jeune homme sans toit ni loi qui erre d’aire en aire d’autoroute l’été. Il est un homme libre que rien ne retient, qui vit dans un éternel présent de petits larcins et de prostitutions occasionnelles au gré des rencontres. Son absence totale de remords, sa légèreté, sa liberté fascinent et intriguent celui qui est enchaîné à une vie normale et tenté parfois de tout balancer quand rien ne va. Qui pourrait retenir cet homme libre ? Peut-être une bonne rencontre avec une femme plus âgée, grande, forte, camionneuse et mère d’un jeune enfant. Des regards croisés dans le miroir, un jeu « à qui brûle qui » font naitre un sentiment furtif et font espérer. Mais rien, pas même la chaîne du bracelet qu’il  vole à Sarah, ne va arrimer Nino et le faire céder sur sa liberté.

Avec ce film Christophe Granger explore la dimension de l’Autre, étranger à soi-même et parfois si proche. Le réalisateur suit son personnage, il l’accompagne jusqu’au bout et nous emporte avec lui. Il n’y a que le cinéma qui puisse nous faire partager cette émotion-là.

 

Dominique Fraboulet



                                                                   Coupeur de route

         lien pour visionner le film : https://www.arte.tv/fr/videos/101834-000-A/coupeur-de-route/